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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/363

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FOUILLÉE. — arguments en faveur du libre arbitrie

passivité ? C’est là un fantôme qu’on crée pour l’exorciser ensuite, ou plutôt on prête aux déterministes précisément la doctrine de leurs adversaires. Il ne s’agit pas de savoir si la volonté est passive ou active : il s’agit de savoir si nous avons ou non une volonté, une puissance libre différente des phénomènes intellectuels et des phénomènes sensibles. Il ne s’agit pas de savoir, par exemple, si les revenants sont actifs ou passifs, mais s’il existent. Qu’on appelle la théorie des facultés une « dichotomie » artificielle, une « mythologie », rien de mieux ; mais qu’on attribue cette théorie à ceux mêmes qui l’ont renversée, c’est là une sorte de contre-sens historique. La théorie des facultés n’est nullement impliquée dans la comparaison de la balance ; cette comparaison est exacte et scientifique comme expression du parallélogramme des forces ; seulement, dans le déterminisme, le plateau n’est pas une « volonté » inerte ; il est le caractère, le cerveau sur lequel pèsent les inclinations dominantes : la volonté n’est que le nom abstrait donné à la résultante finale des forces inhérentes au cerveau et des forces inhérentes aux mobiles. Comment voir dans cette comparaison « un homme purement passif », recevant l’impulsion d’un « homme purement actif » ?[1]

Cette dichotomie des deux hommes est au contraire le propre de toute théorie du libre arbitre, non pas seulement de la théorie indifférentiste. C’est précisément le criticisme phénoméniste qui oppose à la vraie synthèse scientifique une division arbitraire et même une séparation absolue entre la volonté et les autres faits intérieurs. Il admet tout le premier deux hommes ou, ce qui revient au même, deux séries de phénomènes absolument irréductibles qui se développent dans l’homme et le coupent en deux tronçons : 1o une série de phénomènes soumis aux lois du déterminisme ; 2o des phénomènes non soumis à ces lois et se produisant spontanément, de manière à introduire en nous la discontinuité. Où y a-t-il une dualité, une dichotomie plus radicale qu’entre le nécessaire et le libre, entre l’homme nécessité et l’homme libre ? Or ces deux hommes, selon le criticisme

  1. En général, nous trouvons légitime en philosophie l’emploi de la comparaison scientifique ; si elle ne constitue pas, comme on l’a dit, « une double raison », parce qu’elle montre une double vérité, du moins peut-elle être une raison, pour ce motif bien simple que toute raison est elle-même une comparaison. La métaphore (le mot l’indique) ressemble à l’induction, qui transporte d’un objet à l’autre une relation semblable. Aussi les anciens appelaient ils les figures expressives les lumières des pensées, lumina sententiarum. La science elle-même, qui n’atteint que les relations des choses, est un tissu de comparaisons, une métaphore perpétuelle et réglée. C’est ce qui fait que certaines images scientifiques, comme celle de la balance, ont fini par être « consacrées », et que les images mythologiques, comme celles de l’ « évocation », sont inadmissibles.