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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/362

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et des propriétés différentes, pas plus qu’un vrai libre arbitre ne peut venir de la passion ou de la raison. Son contradicteur, aussitôt, agite le vase et mêle intimement pour les yeux les deux liqueurs : de cette apparente « synthèse », aura-t-il bien le droit de conclure que le vin est déjà dans chaque particule d’eau et en est inséparable, comme le libre arbitre serait déjà dans les motifs ?

C’est donc à tort que les criticistes infidèles à Kant croient trouver dans le déterminisme soutenu par Kant lui-même des personnifications mythologiques. Selon eux, la théorie de la liberté d’indifférence et la théorie des déterministes s’accorderaient à admettre « une volonté nue et séparée du jugement », avec cette seule distinction que, pour les indifférentistes, la volonté peut résister aux motifs ; pour les déterministes, elle ne peut que leur obéir. Là une volonté rebelle, ici une volonté docile ; mais, dans les deux cas, une volonté séparée de l’intelligence et des sentiments, une volonté « à part », une volonté au fond indifférente. « Ces deux doctrines s’accordent, dans le fond, à donner la volonté comme indifférente de sa nature ; seulement l’indifférence est active ici (pour les partisans de la liberté indifférente) et la passive (pour les déterministes qui attribuent toute l’activité aux motifs)[1] »… « Nous avons vu l’indifférentisme imaginer une volonté séparée du jugement, séparée de l’homme raisonnable, hors-d’œuvre de la conscience réfléchie, impulsion gratuite, pouvoir insaisissable, cause absolue et chimérique introduite dans l’ordre de la réflexion et de la délibération. Mais, chose étrange ! le déterminisme s’appuie sur une fiction pareille. Seulement, au lieu de faire la volonté se mouvoir d’elle-même, il suppose qu’elle est là pour céder à des mouvements communiqués, semblable à une balance dont les plateaux… j’omets le détail d’une comparaison consacrée[2]. » — On pourrait répondre que cette fiction est tout entière de la façon des criticistes et n’appartient nullement aux déterministes. Oui, sans doute, les partisans de la liberté d’indifférence admettent une volonté nue et séparée, qui peut résister aux motifs ; mais les déterministes, eux, n’admettent aucune volonté nue ; ils admettent, à tort ou à raison, une volonté nulle, ce qui est bien différent. Il nient qu’il existe, en dehors de l’intelligence, de la sensibilité et de la motilité, en dehors des phénomènes intellectuels ou sensibles et de leurs lois, une « faculté » séparée, du nom de volonté, qui aurait une puissance propre. Où a-t-on vu le déterminisme imaginer une volonté différente de la passion et de l’idée, qui serait là uniquement pour leur céder, qui n’aurait d’autre charge que de n’en pas avoir, simple sinécure, simple

  1. M. Renouvier, ib., p. 71.
  2. Ibid., P. 68.