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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/367

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FOUILLÉE. — arguments en faveur du libre arbitrie

libres, nos paris contraires seront libres ; et, faute de vérification possible, on ne pourra discerner quelle décision est ou n’est pas conforme à l’objet. Si nous sommes déterminés, nos deux décisions seront également déterminées, et, en l’absence de vérification possible ou d’appréciation possible des probabilités, on ne pourra non plus discerner leur conformité ou leur non-conformité à l’objet. On ne pourra ici se décider que pour des raisons subjectives à tous les points de vue. Donc, en somme, là où la distinction du vrai et du faux est possible, c’est précisément par le déterminisme intellectuel qu’elle se produit, et, là où elle est impossible pour le déterminisme, elle l’est encore bien plus pour le libre arbitre ; jouer à pile ou face sur une affirmation ou une négation, ce n’est pas s’éclairer sur ce qui était obscur ; dans les cas mêmes où l’on prend inévitablement une décision pratique, cette décision, soit libre, soit déterminée par nos penchants, n’empêche pas les jugements contraires d’être aussi indiscernables qu’auparavant sous le rapport de l’objectivité.

Le criticisme représente toujours, suivant la méthode ancienne, l’homme déterminé comme un homme passif et inerte : c’est l’argument paresseux appliqué à l’intelligence. On oublie que, si l’intelligence est un miroir, elle n’est pas un miroir immobile et impuissant : c’est un miroir tournant sans cesse, qui, présentant ses diverses faces aux choses, réflète des tableaux divers et peut ainsi contrôler l’un par l’autre ; bien plus, les objets eux-mêmes tournent autour de l’intelligence et lui offrent ainsi successivement leurs différentes faces, ce qui fournit un nouveau moyen de distinction. Outre ce premier paralogisme, on en fait un second en représentant l’esprit humain, dans l’hypothèse déterministe, comme une intelligence pure, uniquement déterminée par des raisons qui lui apparaissent, et qui elles-mêmes s’expliquent uniquement par l’objet inconnu ; si bien que, quand les pures intelligences se contredisent, il n’y aurait plus de distinction possible à établir entre elles. Mais, peut-on répondre, nos opinions ont des raisons déterminantes ou antécédents qui ne sont pas toujours des raisons intellectuelles et logiques, ni toujours logiquement valables. Donc, de ce que toute opinion est explicable par des raisons, il ne s’ensuit pas que, pour le déterministe, toutes soient également fondées en raison. Il peut y avoir des raisons de déraisonner comme des raisons de bien raisonner. « Le vrai et le faux », nous dit-on, « ont des titres égaux » parce qu’ils « sont également nécessaires ». « C’est une manière d’être dans le vrai que de suivre une loi nécessaire en affirmant le faux des autres hommes[1]. » — Mais un fou est néces-

  1. Essais, id., III, 302.