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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/371

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FOUILLÉE. — arguments en faveur du libre arbitrie

signifier ou un objet de nos sens ou, plus universellement, un objet quelconque extérieur au sujet. Et en effet, si la majeure est exacte, elle doit s’appliquer à tout. Et c’est précisément parce qu’elle prouve trop qu’elle ne prouve rien.

Il y a plus. On peut retourner le syllogisme tout entier contre les criticistes eux-mêmes. Non seulement le déterminisme ne supprime pas dans la conscience tout moyen de discerner l’objectif du subjectif ; mais c’est l’hypothèse même du libre arbitre dans les jugements qui supprime ce moyen. — La distinction du vrai et du faux dans la conscience, peut-on dire, est impossible en tant qu’on regarde des jugements contradictoires entre eux comme évoqués indépendamment de leurs antécédents par le libre arbitre de chacun, « sans prévision même imaginable. » Donc la distinction du vrai et du faux, relativement à un objet externe, est impossible, dans la conscience, en tant qu’on regarde des jugements contradictoires entre eux comme « également produits par le libre arbitre ». Cela est vrai pour les objets externes proprement dits : par exemple, pour l’accord d’un instrument par « l’accordeur » muni d’oreilles et de liberté, dont parle M. Renouvier. Si un accordeur juge, par un acte de libre arbitre, de la consonance ou de la dissonance, ce n’est pas à lui que nous confierons le soin d’accorder un piano ; nous préférons celui dont les oreilles et le jugement sont nécessités. Cela est vrai aussi pour les objets invérifiables de la métaphysique : en tant qu’invérifiables, égaux en probabilité intellectuelle et affirmés par un acte de libre arbitre, ils sont parfaitement « indiscernables comme vrais ou faux dans la conscience ». Votre affirmation ne porte plus alors sur ce qui est, mais sur ce que vous voulez librement ou nécessairement (car le problème subsiste toujours) ; vous voulez une chose ou vous en voulez une autre, voilà tout[1].

  1. L’indéterminisme phénoméniste retombe donc sous toutes les objections qu’il adresse à Clarke. Il lui objecte qu’une volonté indifférente « détache l’acte de tout motif » et par suite de tout — facteur intelligible » (Crit. ph., 25 sept. 1879, p. 193) ; mais Clarke, en revanche, pourrait répondre : — Selon vous, la volonté détache un motif de tout motif, un jugement de tous les autres, ce qui est encore moins intelligible. — « Vous mettez un intervalle incompréhensible et une solution de continuité entre le dernier jugement et les volitions ! » (Crit. ph., id., p. 118) » — Et vous, un intervalle encore plus incompréhensible entre un jugement et un jugement consécutif sur les mêmes objets. — « Dés que la volonté, principe indifférent, produit d’elle même des actes déterminés, c’est au hasard qu’elle les détermine. » — C’est aussi au hasard que vous déterminez vos jugements. — « Dès que l’homme agit différemment dans les cas où son jugement est identique, ou identiquement dans ceux où son jugement varie, l’homme n’est plus un être raisonnable. » — Est-il un être raisonnable quand il juge différemment avec des données et des passions identiques ou identiquement avec des données et passions différentes ? Ce que l’homme ne peut nier, selon vous, c’est seulement la vérité de ce qu’en même