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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/370

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nécessaire. Même en l’absence de toute vérification possible, nous avons vu que la méthode de discernement entre le vrai et le faux consiste à calculer, autant que faire se peut, la part du passionnel et du subjectif pour l’éliminer du problème, comme un astronome élimine de ses calculs l’équation personnelle. On peut ainsi dans la conscience même établir une hiérarchie, subordonner une nécessité à une autre moins individuelle, mesurer plus ou moins exactement des degrés de probabilité, comparer une croyance avec l’ensemble des vérités acquises et confirmées, continuer rationnellement le mouvement commencé, etc. Donc les criticistes, en passant de l’analogie d’un seul caractère des jugements, le mode de génération dans la conscience, à l’identité de valeur pour la conscience, passent sans l’ombre d’une preuve d’un rapport à un autre tout différent.

On peut maintenant apprécier le syllogisme que M. Renouvier nous oppose et par lequel il espère acculer le déterminisme à l’impuissance. « La distinction du vrai et du faux, dans la conscience, est impossible, dit-il, en tant qu’on regarde des jugements contradictoires entre eux comme imposés par la nécessité. » — Après les explications qui précèdent, nous avons le droit de nier cette majeure, où M. Renouvier prend pour accordé ce qui est en question. De ce que les jugements sont tous également les effets nécessaires de leurs antécédents, il n’en résulte point que, dans la conscience, on ne puisse comparer un jugement avec un autre ou avec un ensemble de jugements, et établir ainsi, dans la conscience même, d’autres rapports aboutissant à une distinction de valeur. La conclusion n’est donc point contenue dans les prémisses : le second rapport, qui est celui du sujet à l’objet, ne se déduit pas du premier, qui est simplement le mode subjectif de formation des jugements. Conclure ainsi sans moyen terme de l’un à l’autre, ce peut être un acte de « libre arbitre » ; mais la conclusion est inadmissible pour qui veut être logiquement « nécessité ». Du reste, de cette majeure qui affirme précisément la chose à démontrer, on passe commodément à la conclusion. « Or, dit M. Renouvier, la distinction du vrai et du faux, relativement à un objet externe, est impossible autrement qu’au moyen de la distinction comme vrais ou faux des jugements contradictoires entre eux, dans la conscience. Donc la distinction du vrai et du faux, relativement à un objet externe, est impossible dans la conscience en tant qu’on regarde les jugements contradictoires entre eux comme imposés par la nécessité. » — Remarquons la généralité de la conclusion, M. Renouvier ne fait plus ici aucune distinction entre les vérités scientifiques ou les vérités philosophiques ; il parle d’un objet externe, ce qui peut