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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/376

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Un système phénoméniste qui admet le libre arbitre ne peut expliquer l’action imprévisible de ce libre arbitre sur les mouvements du corps ni par une force transitive et occulte (que tout le monde aujourd’hui rejette) ni par une loi d’harmonie, seule hypothèse qui reste ouverte aux philosophes. Comment, en effet, expliquer au point de vue scientifique la correspondance des volitions et des mouvements par une loi d’harmonie, quand on professe que cette loi admet en son sein des hiatus et n’est pas un déterminisme embrassant tous les termes à mettre en harmonie ? Comment les deux « horloges », l’une libre, l’autre soumise au déterminisme, peuvent-elles se trouver d’accord ? Peu importe, assurément, que la seconde soit dans une étoile éloignée ou tout près de moi dans mon cerveau ; la difficulté est la même. L’acte du libre arbitre, sur le petit point où il a lieu, échappe « à toute prévision même divine », à toute loi qui le « prédéterminerait entièrement » ; il a lieu dans les « interstices des lois constantes » ; c’est un trou fait au réseau du déterminisme, nec regione loci certa nec tempore certo ; c’est la rupture imprévue d’une chaîne phénoménale. Comment alors cette rupture peut-elle coïncider précisément avec le déroulement sans rupture d’une autre chaîne phénoménale ? En un mot, comment l’exception à la loi peut-elle se trouver d’accord avec le cours régulier de la loi sur les autres points ? comment le discontinu peut-il être en harmonie continue avec la continuité ? Un musicien qui improvise une fantaisie peut-il se trouver d’accord avec tous les autres musiciens de l’orchestre qui suivent régulièrement la partition ? On répond : — Il y a précisément « une loi de la nature » qui fait que, quand je veux mouvoir mon bras, il se meut au moment même ; — mais une loi de la nature n’est telle que si elle embrasse et lie les deux termes harmoniques. Or, ici, l’un des deux termes n’est pas lié ; le second seul est lié. Une loi ne peut pas régir un commencement absolu d’une part el un mouvement relatif de l’autre : le commencement absolu, en tant que tel, lui échappe nécessairement ; par cela même, elle ne peut mettre le mouvement relatif en relation constante avec le libre arbitre absolu, inconstant et imprévisible.

De plus, une loi de la nature n’est jus une chose isolée : elle se rattache à toutes les autres lois, elle n’en est qu’une application ; à vrai dire, il n’y a qu’une seule loi dont la formule embrasse toutes les lois dérivées et tous les phénomènes soumis à des lois. Une loi isolée est une abstraction tout comme la force transitive ; une loi dormitive n’est pas plus intelligible qu’une force dormitive ; l’intelligibilité consiste dans une harmonie universelle. Dès que vous imaginez un phénomène commençant par soi absolument et sans loi qui