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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/377

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FOUILLÉE. — arguments en faveur du libre arbitrie

détermine son commencement, vous ne pouvez plus parler d’harmonie ni de correspondance, c’est-à-dire au fond de déterminisme. L’exception ne saurait être en harmonie avec la loi, à moins d’être purement apparente. Comme d’autre part vous rejetez avec raison la force transitive et y substituez la loi, il ne vous reste plus d’explication possible. Voilà pourquoi nous donnons à un tel fait le nom de miracle, et effectivement il est plus facile de concevoir la résurrection de Lazare (en vertu peut-être de lois et de rapports supérieurs aux rapports connus et habituels) que de concevoir une relation harmonique déterminée entre un commencement absolu non déterminé et un mouvement relatif déterminé[1].

  1. « Il est absurde, nous répond M. Renouvier avec quelque irritation, de traiter de miracle un rapport, supposé réel, en correspondance d’une idée (le libre arbitre) qui m’est à ce point naturelle et qui en est l’affirmation constante. » — Mais, si M. Renouvier veut bien (comme disait M. Ravaisson à son sujet) « se radoucir », il reconnaîtra : 1o que le caractère naturel et populaire d’une croyance ne l’empêche pas toujours d’être illusoire et d’impliquer pour le savant un vrai miracle (ex. la croyance au hasard, à la chance, aux mauvais présages, aux sorts, aux talismans, à l’efficacité des prières pour le beau temps, etc.) ; 2o M. Renouvier définit lui-même le miracle « un fait supposé qui ne s’explique point parce qu’il est en opposition avec les lois connues ou ordinaires de la nature » (p. 397). Or le fait du libre arbitre ; tel que M. Renouvier l’admet, est précisément un fait supposé, inexplicable et « en opposition » non seulement avec les lois « connues ou ordinaires de la nature », mais encore avec l’idée même de loi, puisqu’il consiste à échapper aux lois sur un point, quelque minime qu’il soit ; de plus, le libre arbitre est en opposition avec la loi même de la pensée, qui veut une raison et une condition particulière pour tout fait particulier. Si enfin on songe qu’il s’agit d’un faite commençant absolument », d’un fait de création spontanée, le mot de miracle paraîtra encore bien insuffisant pour caractériser une telle supposition dans un système phénoméniste. — Mais, ajoute M. Renouvier, « il n’est pas d’une argumentation sérieuse de prétendre que le libre arbitre échapperait aux lois scientifiques, alors que ses partisans le tiennent certainement pour conditionné par toutes sortes de faits et de lois de la nature, en son exercice. » — Encore est-il que les partisans du libre arbitre ne le tiennent pas pour totalement conditionné en lui-même, au point précis où il existe ; donc, en ce petit point, qui est tout dans la question, le libre arbitre n’est pas conditionné par les lois de la nature ; il y a à la fois dans nos volitions quelque chose d’absolument déterminé et quelque chose d’absolument indéterminé. La quantité du miracle ne fait rien à l’affaire ; un miracle microscopique, un miracle bénin est aussi grand qu’un gros. De même, si l’on disait : « J’admets la continuité, puisque j’admets de tout petits vides entourés d’un grand plein, » serait-ce « une argumentation sérieuse » où un faux fuyant ? Quand un problème porte sur un point, il ne faut pas se jeter à côté : là où le libre arbitre existerait comme commencement inconditionné, fut-il un atome imperceptible conditionné par tout le reste de l’univers, il serait lui-même un univers indépendant, un tout dans le tout, un miracle dans la nature. M. Vallier, dans sa thèse remarquable sur l’Intention morale, admet aussi une intervention de la liberté dans le cours des phénomènes ; mais il dit, lui, avec une louable franchise : « Il ne faut pas se le dissimuler, cette intervention est absurde. » (P. 59.) Et il ajoute que ce n’est pas une raison pour n’y point croire. — Tertullien aurait même dit que c’est une raison pour y croire. À la bonne heure ! il ne faut faire illusion ni au lecteur ni à soi-même.