Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/379

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
369
FOUILLÉE. — arguments en faveur du libre arbitrie

alors dans le phénoménisme pur et simple de Hume, dans le phénoménisme sans à priori, sans causalité, sans liberté, sans distinction de vie éternelle et de vie temporelle, sans impératif catégorique. Cette position moyenne et provisoire est un fait de transition curieux, qui se produit même actuellement chez quelques philosophes anglais, comme Hogdson et Watson. À nos yeux, ce nouvel éclectisme n’est pas viable : on ne peut rester suspendu entre un phénoménisme complet et l’admission d’un noumène quelconque : dans un sens ou dans l’autre il faut aller jusqu’au bout. Et si l’on opte pour un principe inconnaissable supérieur à la science, au moins ne faut-il pas le disperser dans le domaine même de la science[1].

III. — Le déterminisme idéo-naturaliste.

L’évolution logique de la pensée nous a amenés de l’indifférentisme sans motifs au libre arbitre motivé du spiritualisme, puis du libre arbitre motivé au libre arbitre créant ses propres motifs. Et en effet, si le libre arbitre existe, il doit agir sur les idées mêmes, non pas seulement sur la volonté et sur le corps. Les idées et les passions, les motifs et les mobiles, tel est bien le dernier refuge du libre arbitre traditionnel : ou il est là, ou il n’est nulle part. Par malheur, c’est précisément là qu’il nous est apparu comme le plus impossible, sous forme d’idées libres et de passions libres. Si quelque chose en ce monde est soumis à des lois, c’est la pensée, d’autant que les lois sont peut-être uniquement des pensées.

  1. M. Renouvier demande spirituellement qu’on lui présente cette personne : la science. — Et nous ne songeons nullement à la lui présenter, car elle n’est pas faite ; mais on peut lui présenter le principe de la science, ou plutôt ce principe est déjà présent à tous les esprits : c’est celui des lois. C’est en pensant ce principe que chacun devient « la raison impersonnelle en personne ». Quand on dit qu’une hypothèse est contraire à la géométrie où à la physique, cela signifie simplement qu’elle est contraire aux lois de la géométrie et de la physique reconnues par tous les savants ; cela ne veut pas dire qu’on fasse de la géométrie une personne. Quand on dit qu’une hypothèse est contraire à la science, cela signifie plus généralement qu’elle est contraire au principe même de la science, qui est que tout phénomène a des lois et peut être pensé, c’est-à-dire conditionne. Au-dessus des phénomènes, des lois et de la science, on peut sans doute et on doit peut-être supposer un mystère ; mais, si l’on répand pour ainsi dire au milieu même des phénomènes la monnaie du mystère, alors on a autant de miracles. Le miracle, c’est du mystère en gros sous ; ce n’est pas seulement de la création éternelle ou continuée, c’est de la création intermittente ; c’est l’intervention de Dieu, des anges où du libre arbitre au beau milieu du cours des choses : multiplier ainsi les mystères et les créations « prœter necessitatem », voilà précisément ce que nous avons appelé une réaction contre l’esprit de la science. Or la pensée ne remontera pas le courant, parce que ce courant constitue la pensée même, la possibilité de la pensée. Au reste, nous reviendrons sur le principe de causalité dans une étude ultérieure.