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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/381

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FOUILLÉE. — arguments en faveur du libre arbitrie

associées et unies dans notre esprit, nous tendons à agir, nous commençons d’agir, nous agissons déjà selon ces représentations, puisque toute représentation est accompagnée de mouvement et tend à se réaliser dans nos muscles. Affirmer n’est autre chose qu’agir ou réagir, et réciproquement agir, réagir, c’est affirmer, c’est donner par le fait une valeur réelle à sa pensée, puisqu’on la réalise en mouvements et qu’on y conforme son activité[1]. Pour affirmer que le feu brûle, l’enfant qui ne sait pas parler écarte sa main du feu s’il en est près, ou accomplit par l’imagination ce mouvement s’il en est loin : Quand il sait parler, tout se réduit à de simples mots, qui deviennent les substituts de ses actions comme de ses sensations. Ainsi comprise, l’affirmation objective est, au point de vue psychologique et physiologique, la réaction motrice qui répond à la sensation. Elle a son premier germe dans le simple mouvement réflexe qui succède à une excitation et qui fait se contracter les membres de l’animal sous les influences du dehors.

Il résulte de ce qui précède que l’affirmation complète enferme une croyance, conséquemment une direction de l’action, conséquemment une direction de la volonté. Descartes a entrevu ce caractère de l’affirmation quand il a dit que tout jugement est volontaire[2].

Par cela même que toute idée et toute affirmation est inséparable d’un mouvement dont elle est la face consciente, elle tend à propager ce mouvement ; elle enveloppe tendance et tension ; elle est l’anticipa-

  1. La Liberté et le déterminisme, p. 147 : « L’élan par lequel je tends à persévérer dans une direction quelconque, à maintenir et à continuer mon action, diffère-t-il de ce qu’on appelle l’affirmation ? Dès que j’agis avec Le sentiment ou la conscience de mon acte et des modifications qu’il subit, on : peut dire déjà que j’affirme, car mon action, en même temps qu’elle est faite et sentie, est pour moi affirmée. »
  2. Le phénoménisme criticiste a raison aussi de ne pas séparer les faits psychiques et de dire qu’il y a du vouloir dans le penser ; mais la vraie synthèse des faits psychiques suppose qu’ils sont tous soumis à des lois, y compris la volonté même. Donc, si vouloir est penser, sentir, mouvoir, il en résulte non pas un argument en faveur du libre arbitre, mais un argument contre le libre arbitre.

    Il reste d’ailleurs permis aux métaphysiciens de réserver à leurs hypothèses un domaine supérieur. S’ils admettent des noumènes, une existence quelconque supérieure aux phénomènes, une liberté absolue à la façon de Kant, de Schelling et de Schopenhauer, on comprendra qu’ils puissent dire avec certains kantiens platonisants : — Pour prononcer qu’une chose devient ou est, il faut, dans son fond absolu, dépasser soi-même le devenir des phénomènes et même l’être actuel, déterminé ; il faut être « esprit pur », « liberté pure ». Mais les partisans du libre arbitre n’admettent pas la liberté intelligible de Kant ; pour le criticisme phénoméniste, en particulier, le libre arbitre est tout entier dans les phénomènes ; il n’y a dès lors pas même une apparence plausible dans la « liberté des jugements », c’est-à-dire dans le pouvoir qu’auraient des phénomènes intellectuels, des « représentations » de se maintenir ou dé se suspendre elles-mêmes, de se créer ou de s’anéantir. La pensée, étant tout