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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/385

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FOUILLÉE. — arguments en faveur du libre arbitrie

cients, elle est inexacte. Il y a des phénomènes inconscients, des faits de cérébration inconsciente qui, en se combinant avec les mêmes faits de conscience, produisent des volitions toutes différentes. Là-dessus les spiritualistes dogmatisants attribuent tout à la volonté libre et les matérialistes dogmatisants à la matière fatale : des deux côtés, les idées restent contemplatives et oisives. Il y a seulement cette différence que, dans le mécanisme, c’est un non-moi matériel qui, derrière le rideau, fait jouer les ressorts de la marionnette humaine ; dans le libre arbitre, c’est un moi spirituel : la pensée n’est que l’éclairage de la rampe. Avec cette conséquence, selon nous, commence l’exagération. Nous reconnaissons l’action de l’inconscient (et les motifs ou mobiles qui y sont pour ainsi dire emmagasinés) ; mais, sans sortir du déterminisme et même du mécanisme, nous insistons de préférence sur la réaction du conscient, réaction plus qu’apparente à nos yeux, qui, chez les êtres raisonnables et aux moments les plus graves de la vie morale, peut dominer tout le reste et entraîner le déterminisme intérieur vers un idéal de liberté progressive. Si la pensée est un manomètre, c’est du moins un manomètre capable de modifier la pression de la machine et de la diriger par l’idée même de cette direction possible. Toute volition, a-t-on dit dans une analyse profonde et savante des maladies de la volonté, est un simple effet, qui « n’est cause de rien[1] ». La volition affirme la relation de deux tendances, comme le jugement ou plutôt la proposition affirme le rapport de deux idées, mais « elle n’a pas plus d’efficacité pour produire un acte que le jugement pour produire la vérité. » — Peut-être cette assimilation n’est-elle pas exacte de tout point ; la vérité est objective et en quelque sorte extérieure à nous : prononcer sur la vérité, c’est s’éliminer soi-même et éliminer autant que possible le subjectif afin d’avoir pour résidu l’objectif. La volition, elle, demeure immanente et prononce sur ce que je veux faire, non sur ce qui est déjà fait indépendamment de moi ; elle tend à faire prédominer le subjectif et non à l’éliminer. « Le je veux, ajoute-t-on, constate une situation, mais ne la constitue pas. » Soit, si l’on parle seulement de la proposition « Je veux », qui exprime moins le vouloir même que la conscience du vouloir, et qui formule le décret, promulgue le « verdict », mais ne le fait pas. Seulement, peut-on étendre la même passivité au « Je pense, » c’est-à-dire : — Je conçois telle idée, par exemple l’idée de la patrie, de l’humanité, de l’univers ; je pense tel ou tel idéal ? — Il semble qu’alors la pensée ne se borne pas à constater une situation indépendante d’elle-même ;

  1. M. Ribot, Revue phil., fév. 1883, p. 166.