Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/386

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
376
revue philosophique

elle entre comme facteur dans la constitution d’une situation nouvelle. De plus, parmi les pensées, il y en a une qui est un facteur plus essentiel et plus méconnu par les autres : c’est la pensée du vouloir même, la pensée du vouloir possible. Je veux vouloir, en constatant une situation, commence encore à en constituer une autre ; c’est une idée qui est effet, puis cause. Or cette idée est toujours enveloppée dans la volonté réfléchie. En ce cas, le Je veux marque un phénomène de retour par lequel la conscience se retourne contre l’inconscient et s’efforce de le dominer. L’évolution se fait révolution, sans qu’il y ait pour cela discontinuité au fond des choses. L’idée de la volition est donc plus qu’un simple compte-rendu sténographique ; si la proposition affirmative ne fait en rien la vérité de son objet et l’affirme parce qu’il est, la proposition volitive, dans une certaine mesure, fait être son objet parce qu’elle l’affirme. Il y a là un phénomène de réflexion extrêmement complexe qui demanderait une longue analyse, et où la Conscience joue un rôle moins simple que celui d’enregistrer.

Le déterminisme ainsi complété, union du naturalisme et de l’idéalisme, pourra seul échapper, selon nous, à cet éternel argument paresseux que répètent à satiété les spiritualistes et que les matérialistes semblent confirmer en faisant de la conscience une représentation oisive des actions physico-chimiques. Cette dernière conception, quand elle est exclusive, aboutit à un fatalisme décourageant que l’on a fort bien comparé à une sorte de curare moral : le curare enlève le pouvoir d’agir sans enlever celui de sentir et de voir : c’est la conscience de l’impuissance. — Mais ceux mêmes qui opposent cette comparaison au déterminisme reproduisent encore le λόγος ἀργὸς, qui n’est valable que contre un mécanisme grossier ; ils supposent que, dans le déterminisme, l’homme n’a plus, comme l’Indien frappé d’une flèche, qu’à « se coucher et à mourir ». Telle n’est pas du moins la conclusion logique du déterminisme qu’on pourrait appeler idéo-naturaliste. Ce dernier, loin de nous enlever l’usage de notre volonté, nous montre dans la vue même des choses un moyen d’action sur les choses ; au lieu d’un poison paralysateur, nous avons alors un contre-poison et même un aliment excitateur ou producteur d’énergie.

Ainsi donc, 1o en supposant même que l’idée fût simplement une formule mécanique, comme le soutiennent les mécanistes exclusifs, cette formule devrait encore être considérée comme capable de réagir sur ce qu’elle exprime et comme enveloppant un pouvoir de réalisation propre ; c’est ainsi que la formule d’un pont, présente à la pensée d’un ingénieur, enveloppe sa réalisation possible dans une œuvre : elle est elle-même une sorte de pont entre l’idéal et le