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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/402

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revue philosophique

Il

Le pessimisme.

L’expérience, sur laquelle il faut mesurer nos théories, n’est pas favorable à celle-ci. En morale, on se prend à douter que la jouissance personnelle soit vraiment le but normal de l’activité, lorsqu’on a vu que les gens les mieux fournis des objets à notre gré les plus désirables sont généralement les moins contents d’eux-mêmes et de leur destinée. Nous nous promettons d’en abandonner la recherche, lorsque les déceptions dont la vie est tissue nous ont démontré qu’à la poursuivre on la manque toujours, et qu’une existence tolérable est impossible sans un travail, sans un devoir, sans un amour assez puissants pour nous arracher à nous-mêmes. Longtemps avant d’avoir acquis cette sagesse pratique, qui s’obtient tard et se paye cher, le premier regard qui pénètre au delà des voiles sous lesquels la nature cache ses douleurs et la société ses ignominies nous a guéri pratiquement de l’optimisme. Systématisé par des gens de santé florissante, qui raisonnaient sans observer, l’optimisme est la philosophie de l’enfance, l’a priori naïf du premier désir. Rapproché des faits, il devient burlesque. Certes, si le bonheur des êtres sensibles est réellement le seul but assignable au monde, n’hésitons pas à convenir que ce monde est une œuvre manquée, l’Ecclésiaste n’avait pas laissé grand’chose à dire sur ce point, et ce qui pouvait être utile pour compléter la démonstration, les pessimistes allemands l’ont fort bien déduit. Au regard des faits, les arguments abstraits de l’optimisme a priori deviennent burlesques, ai-je dit : l’épithète est insuffisante, ils sont odieux, et les attendrissements des auteurs de bergeries, les actions de grâces d’une dévotion sensuelle font mal au cœur. Cet art d’amplifier un côté des choses en laissant l’autre dans l’ombre est indispensable à l’avocat qui se charge de toutes les causes ; il ne saurait trouver place dans la recherche de la vérité, et, lorsqu’il s’agit de fonder des convictions durables, les effets en sont absolument pernicieux : lorsqu’il ne provoque pas le mépris, il nourrit la niaiserie. L’optimisme de telle théologie libérale est la perfection de l’obscurantisme ; il se pose comme un bandeau sur les yeux de ses fidèles, pour les empêcher de voir la réalité de la vie. Nous n’affirmerons pas dogmatiquement que la somme des souffrances l’emporte ici-bas sur celle des satisfactions. Nous ne sommes pas sûr que la proportion aille en empirent chaque jour ; ce sont des calculs que nous n’avons pas faits, et nous ne savons trop