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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/410

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parler. La force absolue ne se renouvelle pas à des sources étrangères ; elle agit sans se dépenser. Il faut qu’en se déployant, elle se possède. Le concept qui répond le moins mal à cette pleine affirmation de la volonté que nous voudrions comprendre est celui de société. La société, telle est la forme dans laquelle la volonté se réalise elle-même comme unité, car, pour que l’unité de la volonté soit son propre fait, il faut, semble-t-il, qu’elle parte du multiple. La volonté tend au bien, et le bien n’est autre que la volonté elle-même. C’est dans la société morale, dans la réciprocité de l’amour que nous comprenons comment la volonté peut et doit être son propre objet. Là, chacun s’appliquant librement à cultiver chez son frère les semences de la liberté, la puissance ne se perd pas dans l’acte, mais s’y conserve en s’exaltant. Le complet déploiement d’une force unique ne se comprend pas, et l’on ne voit pas ce qu’il en pourrait suivre sinon l’immobilisation, l’anéantissement ; le déploiement illimité dans l’un de plusieurs ne se conçoit que par la compression des autres ; ce maximum d’être apparent ne serait pas le vrai maximum. Si l’être est le bien, si l’activité fait la vérité de l’être, si la loi suprême est de tendre au constant accroissement de l’activité totale, nous ne saurions comprendre le fonctionnement de cette loi qu’en supposant que l’activité de chacun se prend pour objet elle-même, et se cultive en se limitant, pour laisser place au déploiement de la liberté des autres. Chacun travaillant ainsi sur lui-même et sur les autres, l’activité de tous s’aiguise, se purifie, s’intensifie, et tous ces feux concentrés s’unissent, non dans la conflagration universelle, mais dans un feu créateur, dans le maximum de l’être, autant qu’il nous est donné de le concevoir. Ainsi nous n’’atteignons pas d’idéal supérieur à notre propre idéal, au-dessus du multiple, nous n’apercevons que la loi du multiple. Et ce résultat ne saurait contenter les esprits, de tout temps les plus nombreux, je le pense, parmi les méditatifs, qui ont besoin de trouver la raison du multiple dans l’unité. L’impossibilité de concevoir une nature du bien en soi séparée d’un esprit concret dans lequel il se réalise, la difficulté de concevoir la réalisation du bien dans en esprit isolé, lorsqu’on essaye de suivre les conséquences de sa pensée et qu’on ne se satisfait pas d’un mélange confus de représentations contradictoires, telle est, ce me semble, la cause la plus avouable, sinon la plus efficace, de la défaveur dont le théisme semble frappé de nos jours. Cependant un esprit impartial, un esprit resté sensible à la communion des esprits comprendra les raisons profondes qui s’opposent à la tentative de commencer par le néant ou, ce qui revient après tout au même, de commencer par le multiple, l’imparfait et le fini. À l’époque où le