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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/411

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SECRÉTAN. — la métaphysique de l’eudémonisme

problème religieux occupait exclusivement les intelligences, la philosophie se prit pour la religion même, et chercha dans l’assentiment des chefs de l’Église une sanction de ses théories, qui lui semblait surnaturelle. Alors l’affirmation du bien absolu, d’une réalité morale inconditionnelle ; indépendante du monde et du phénomène revêtit la forme d’un dogme aujourd’hui discrédité par l’effet de cette consécration même ! À quoi bon le nommer ? Etrangères au besoin qu’il voulait satisfaire, les Églises elles-mêmes n’en parlent plus. L’ordre de questions auquel il touche et qu’il pensait dominer nous est interdit. Le mystère, d’ailleurs, se défend lui-même ; nous n’observons le soleil qu’en éteignant ses rayons ; mais, rêve pour rêve, au moins faut-il convenir que l’engendrement éternel d’un éternel amour où s’embrassent des principes éternels eux-mêmes, complétait heureusement l’idée métaphysique du bien, avec ses trois rayons : bonté, vérité, beauté, qui sont trois rapports, et n’ont de sens que dans la relation. Si nul n’est tenu d’accorder son assentiment à dés spéculations sans contrôle possible, il conviendrait au moins d’en saisir la portée et l’intention. Après tout, pourtant, les efforts de l’esprit pour s’établir sur ces hauteurs semblent inutiles : même avec le secours de la loi morale, nous n’arrivons pas à comprendre Dieu. Dieu n’est pas une idée, c’est la limite de nos conceptions ; en bégayant ce nom auguste, nous attestons notre foi dans la sainteté de l’ordre moral, nous disons que cet ordre possédant seul à nos yeux une valeur absolue, nous devons nécessairement le mettre à la racine et au fond de tout.

Si l’ordre moral est ainsi principe de l’être, il faut qu’il soit être lui-même, il faut qu’il soit volonté. Nous pouvons aller jusque-là, nous n’en savons pas davantage. En parlant d’un Dieu personnel, nous ne disons rien d’intelligible, sinon que Dieu peut et qu’il doit former l’objet essentiel de nos affections. En disant qu’il nous entend et qu’il nous exauce, nous exprimons une conviction indispensable à notre vie morale, nous déclarons qu’il existe une communion des esprits dans la source de l’esprit, une action des esprits les uns sur les autres proportionnée au degré de leur réalité spirituelle. En disant qu’il nous voit, qu’il nous juge, qu’il nous aime, nous exprimons notre croyance sous une forme adéquate et précise, car toutes ces affirmations d’apparence anthropomorphique sont littéralement comprises dans la pensée que l’ordre moral est une réalité : sans aller au fond du mystère, nous pouvons donc les maintenir. Les difficultés qu’on fait à la théologie, les contradictions dans lesquelles on l’entortille ne gênent point les mouvements de la pensée religieuse, car celle-ci n’affirme que des rapports dont sa propre expérience lui