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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/412

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procure une certitude immédiate. Ces choses sont possibles, car elles sont. Comment sont-elles possibles ? Qu’est-ce qu’est Dieu pour lui-même ? Comment se perçoit-il lui-même ? La pensée religieuse n’a pas besoin de le savoir, et, lorsqu’elle arrive à entendre de quoi il s’agit, la manière même dont la question se pose lui rend évident qu’il est impossible de le savoir.

Un article récent de M. Fouillée[1], que nous ne connaissions point encore en écrivant ce qui précède[2], formule en termes très nets la difficulté principale inhérente à toute conception théologique. « Dans le domaine de la science, dit-il, on explique une chose par une autre qui sans être ni identique ni absolument contraire à celle qu’il s’agit d’expliquer, nous est connue par expérience comme différente. Dans la théologie, ne pouvant connaître directement les attributs positifs et différenciels du principe surnaturel, surhumain, nous sommes réduits à nous le représenter d’après la nature et humanité, ou comme simplement semblable où comme-simplement contraire ; c’est donc une inconnue affectée d’un signe soit négatif, soit positif. Dans le premier cas, nous nions de la cause supérieure ou unité supérieurs, tout ce qui appartient à la nature ou à l’humanité, et alors nous n’avons plus qu’une notion vide du pur absolu ; dans le second, nous nous contentons de transporter dans la cause suprême la nature et l’humanité, quand nous l’appelons l’amour absolu, la moralité absolue. Non seulement alors le problème : n’est pas résolu, mais il devient insoluble en ses termes mêmes, par la contradiction entre l’existence absolue et des attributs relatifs, termes entre lesquels il n’y a aucun milieu. »

La conclusion légitime de ces observations nous semble être seulement que l’esprit humain manque des données nécessaires pour comprendre l’essence divine : à les entendre ainsi, nous pourrions nous les approprier. Les arguments par lesquels le savant auteur s’efforce d’établir que Dieu n’existe pas n’ont peut-être pas la même valeur. Ne se laisse-t-il pas aller à la dérive, lorsqu’il voit un préjugé d’éducation dans notre penchant à statuer l’unité divine ? Le besoin d’avoir un principe unique ne tient-il pas au besoin d’unité dans l’explication, et l’unité de l’explication n’est-elle pas la raison même ? La question décisive est posée en termes irréprochables par M. Fouillée : « Peut-on concilier la perfection actuelle d’un amour infini avec l’imperfection non moins actuelle d’un monde livré au mal et à la douleur ? Cette question n’intéresse pas seulement la métaphysique ; elle

  1. Revue des Deux-Mondes du 15 juillet 1882.
  2. Août 1882.