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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/414

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dans la création, s’il n’eût possédé les moyens d’obvier aux conséquences d’un mauvais choix éventuel de la créature sans déroger aux principes de l’ordre moral qui donne seul une valeur réelle à l’existence ; de sorte que cette économie doit proprement être considérée comme un appareil de restauration, comme un hôpital, si l’on veut, qui n’est pas précisément un lieu de délices, et qui n’en est pas moins une fondation de la charité. En dehors des expériences religieuses personnelles, nous ne voyons rien là qui s’impose à la croyance ; mais, puisqu’on entendait porter jugement sur toute théologie, celle-ci méritait peut-être qu’on y regardât. Aisée ou non la réfutation n’en est pas faite.

Au surplus, si cette théologie de liberté offre une solution possible au problème concret de la théodicée, elle ne nous donne pas celle du problème abstrait de la métaphysique : qu’est-ce que le bien en soi, le bien absolu ? Nous comprenons ce qu’est le bien pour nous, nous croyons qu’il a sa raison dans le bien en soi, nous croyons qu’il existe un bien en soi, mais nous ne comprenons le bien en soi que dans son rapport avec nous. En disant avec M. Alfred Weber que le principe du monde est la volonté du bien, nous ne nous flattons pas de poser la base d’une métaphysique intuitive, puisque nous ignorons ce qu’est le bien dans l’absolu. Nous pouvons bien opposer avec lui la volonté du bien au principe du pessimisme « volonté de vivre, » par où le pessimisme entend volonté de jouir ; nous avons vu que cette dernière est de sa nature illusoire, et notre pensée répugne absolument à se représenter l’être absolu comme jouet d’une illusion ; mais au fond, quand nous appelons le principe volonté du bien, c’est encore, il faut l’avouer, à nous-mêmes que nous pensons. Et si nous pouvons opposer la volonté du bien à la volonté de vivre au sens du pessimisme, nous ne saurions l’opposer à la volonté d’être ; volonté d’être et volonté du bien sont synonymes. Si l’être est un vouloir, comme nous l’avançons sur la foi d’une intuition confirmée par l’analyse, ce vouloir ne saurait trouver d’objet hors de lui-même, car hors de l’être il n’y a plus rien. L’être est volonté d’être, l’être est l’objet de la volonté, c’est-à-dire l’être est le bien, et cet être identique au bien ne diffère en rien de la volonté elle-même, de la pure activité. La loi suprême va donc sans conteste possible à l’incessant renouvellement, à l’accroissement perpétuel de l’activité, à sa perfection. Mais l’évidence formelle de cette thèse nous apprend peu de chose ; la perfection de la volonté reste une inconnue, une forme à remplir. La faible lueur qui nous a conduit jusqu’à la position conquise venait tout entière de la conscience morale, dont la valeur est pour nous absolue, mais dont toutes les applications pos-