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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/415

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SECRÉTAN. — la métaphysique de l’eudémonisme

sibles sont relatives. Hors du monde phénoménal, la conscience est notre seul guide, et, si doctement qu’on l’interroge, la conscience morale ne nous livre pas de métaphysique : tout au plus quelques aperçus fragmentaires, compris dans la mesure où la pratique en a besoin. Ainsi se justifie la primauté décernée à la raison pratique. La conscience, qui nous ordonne de vouloir le bien pour le bien, tout en nous laissant chercher en quoi ce bien consiste, reste le seul jour ouvert sur l’intimité de notre être et de l’être en général. Justement condamné par des penseurs assez heureux pour n’avoir sur tous les sujets que des idées claires, aux contours bien arrêtés, le mysticisme de la Critique allemande n’en repose pas moins sur un fond réel. L’obligation qui s’impose à l’homme et qui l’accable n’est pas autre chose, après tout, que le fond de sa propre nature. Il y a donc quelque chose dans cette théorie kantienne, si difficile à préciser, du moi intelligible, plusieurs choses même, entre lesquelles Kant n’a pas assez distingué. C’est un regard qui plonge dans le mystère que nous sommes, sans en pouvoir illuminer la profondeur. Fichte, sous l’invocation duquel M. Weber aime à se placer dans l’étude déjà mentionnée, Fichte, dont les thèses paradoxales expriment une conviction si complète, Fichte, cet athée chez qui la théologie ira se rajeunir, Fichte, dont, à son propre dire, la philosophie n’a pas d’œil pour l’être, Fichte a possédé réellement l’intuition de l’être avec une clarté que nul n’atteignit depuis ; et pourtant Fichte lui-même a échoué dans l’entreprise de la systématiser et d’en faire la base d’une métaphysique intelligible.

Ainsi, ni l’eudémonisme, ni le pessimisme, ni l’impératif catégorique ne nous élèvent à la conception distincte de l’être en soi, bien que ce dernier nous porte plus loin que les autres. Il marque la direction et montre la borne : il nous fait voir dans le bien moral, dans la réciprocité de l’amour, la réalisation la plus parfaite possible de l’activité, de la liberté, en un mot de l’être ; il nous prouve que la volonté d’être, identique à l’être lui-même, est en soi volonté du bien ; mais cette réflexion ne nous conduit qu’à comprendre la volonté de l’être relativement à nous, sans qu’il nous soit possible de l’appliquer distinctement à l’être dans son principe. Nous savons ensemble que l’être est un et que notre seule notion du bien est la synthèse d’un multiple.

Ans innere der Natur dringt kein erschaffner Geist,
Gluecklich wer nur die Schale weisst.

Ch. Secrétan.