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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/418

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deux yeux. Qu’est-ce à dire, sinon que les idées attachées à la sensation visuelle dédoublée ont été dédoublées en même temps ? Par quel procédé cet effet a-t-il lieu, c’est ce que nous n’examinerons pas ; nous ne recherchons pas davantage si le dédoublement de l’idée est produit directement par la pression sur l’œil, ou plus vraisemblablement n’est que la conséquence du dédoublement subi par la sensation. Sur tous ces points, la question demeure ouverte ; tout ce que nous voulons constater ici, c’est le fait lui-même ; la diplopie sensorielle est accompagnée d’une diplopie mentale. Le lecteur a sans doute compris de suite l’importance de cette observation ; mais il en saisira mieux la signification en voyant ce que la pathologie peut faire d’un phénomène psychologique assez simple.

Quelques aliénistes ont décrit un fait curieux qu’il nous est donné d’observer quelquefois dans les hallucinations de la vue : si l’on presse latéralement sur l’œil d’un individu halluciné pendant qu’il est en état d’hallucination, on dédouble l’apparition imaginaire. — Le Dr Brewster, cité par le Dr Despine, a le premier observé ce dédoublement ; Despine l’a reproduit chez un hystérique mâle. Il y a quelques années, M. Ball rendait compte d’une nouvelle expérience, faite cette fois sur une femme. Il s’agissait d’une jeune fille hystérique, placée dans son service, qui dans ses accès de somnambulisme voyait apparaître la Vierge dans un costume resplendissant. « Par le moyen de la pression du globe oculaire, on dédoublait invariablement cette image, et on lui en montrait deux. » Quelques autres observations pourraient être ajoutées aux précédentes, par exemple une observation déjà ancienne de Paterson, qu’on trouvera dans les Annales médico-psychologiques, t.  III, page 413. Bref, tout paraît démontrer qu’on est en présence non d’un fait exceptionnel, mais d’un fait général, dont les exemples abonderont le jour où les aliénistes voudront bien diriger leur attention de ce côté.

Ce dédoublement hallucinatoire, dont les auteurs parlent comme d’une curiosité qu’on signale sans essayer de l’expliquer, peut être considéré comme l’exagération pathologique du dédoublement dont nous venons de constater la production dans les perceptions normales de la vue. On objectera peut-être que ce rapprochement est fondé seulement sur une ressemblance superficielle ; nous croyons que cette objection n’est pas valable. Il existe une analogie réelle, indiscutable, entre la perception et l’hallucination. Ces deux phénomènes ont d’abord pour trait commun d’être formés par la combinaison des sens et de l’intelligence ; ce sont, suivant l’expression consacrée, des phénomènes psycho-sensoriels. Une sensation est le point de départ de l’hallucination, de