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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/424

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aussi une de ses propriétés. En troisième ligne viennent se ranger les impressions relatives à l’usage de l’orange, à son utilité pratique, à l’action de la couper avec un couteau, de la porter à la bouche, de la sucer et d’en rejeter la pulpe et les pepins ; tous ces états de conscience, qui sont fournis uniquement par l’esprit, peuvent, suivant les circonstances, être réveillés à un degré quelconque par la présence de l’objet, et gravitent en quelque sorte autour de cette simple impression d’une tache jaune, qui est reçue par l’œil.

Ainsi on voit en résumé que la connaissance d’un objet visible est presque tout entière indirecte : indirecte, parce que la notion même d’objet extérieur est pour nous une inférence, parce que la distance est inférée, parce que la grandeur est inférée, parce que la solidité est inférée, parce que les qualités sapides, tangibles et autres sont inférées. L’énumération des inférences est loin d’être complète ; il faut renoncer à les mentionner toutes, car un grand nombre d’entre elles dépendent du nombre des expériences qui ont été acquises, relativement à l’objet perçu, soit par l’individu lui-même, soit par ses ancêtres. Chaque perception a un caractère individuel. Ainsi, plus on a eu l’occasion d’observer un objet dans des conditions différentes, plus on lui a fait subir d’expériences de toutes sortes, afin d’en tirer des sensations nouvelles, plus aussi, lorsque cet objet se présente de nouveau à nos sens, la perception à laquelle il donne lieu est riche en détails. Par exemple, la vue d’une orange est pour un botaniste une source d’idées et d’inférences qui sont complètement étrangères à une autre personne ; l’orange lui apparaît comme un organe végétal ayant une structure, une fonction et une évolution déterminées ; ce sont là des notions qui correspondent à des représentations mentales de la plus haute complexité. L’objet des sciences naturelles consiste en partie à augmenter le nombre des sensations qu’un corps est capable de nous procurer, en le plaçant dans des conditions spéciales d’observation et d’expérimentation qui en révèlent les propriétés les moins apparentes ; examen à la loupe, au microscope, dissection, essai par la voie humide et par la voie sèche ; toutes les propriétés que nous révèlent ces méthodes perfectionnées d’investigation sont susceptibles d’être représentées à l’esprit quand le corps tombe sous notre vue.

Une autre raison s’oppose à ce qu’on puisse donner une liste complète des inférences provoquées par nos sensations ; c’est que les représentations mentales qui entrent dans une perception possèdent des degrés inégaux de clarté, et il y a une transition insensible entre les plus saillantes et les plus effacées. Le mécanisme de la conscience est comparable à celui de la vision. Quand la rétine toute entière est