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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/441

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BINET. — le raisonnement dans les perceptions

chercher la grande différence qui sépare les raisonnements logiques et ceux que nous tirons de nos sensations ; les premiers peuvent être exprimés sous la forme d’une série de propositions, les seconds ne le peuvent pas. Il suffira d’un exemple pour le faire sentir. Une personne qui éprouve une sensation lumineuse sur la partie droite de la rétine est déterminée à croire qu’il existe à sa gauche un corps lumineux ou éclairé. Perception qui se renouvelle souvent dans la vie pratique ; beaucoup d’auteurs ont voulu l’expliquer par un mécanisme nerveux préexistant ; mais cette opinion doit être abandonnée. C’est l’expérience qui nous a fait connaître que, lorsque les éléments nerveux de la région droite de la rétine sont impressionnés, le corps lumineux est à gauche ; nous avons constaté à maintes reprises que c’est du côté gauche qu’il faut diriger ses mouvements, soit pour se rapprocher de l’objet et le saisir, soit pour le cacher ; une association s’est établie empiriquement entre une impression particulière de l’œil et une position déterminée de l’objet. Lorsqu’une nouvelle sensation lumineuse se produit à la même place, c’est en vertu de l’association formée, que la présence de l’objet à gauche est aussitôt suggérée à l’esprit. Bref, nous trouvons dans cette perception très simple tous les éléments d’un raisonnement ; mais peut-on mettre ce raisonnement sous la forme d’un syllogisme ? On essayera peut-être cette formule :

Toute sensation qui siège sur la région droite de la rétine correspond à un objet situé à gauche ;

La sensation que je reçois a son siège à droite ;

Donc elle correspond à un objet situé à gauche.

Mais ce raisonnement ne saurait être accepté comme satisfaisant, car la grande majorité des personnes ne connaissent ni la structure de l’œil, ni les lois de la réfraction, ni par conséquent le siège des sensations visuelles, ce qui ne les empêche pas de juger très exactement de la position des objets dans l’espace ; et d’autre part les personnes qui possèdent une connaissance approfondie de l’anatomie de l’œil et des lois de la lumière ne font jamais intervenir ces notions scientifiques dans la perception des objets. Le fait est que, dans l’exemple que nous discutons, notre expérience nous a fait associer la notion d’un objet situé à notre gauche à une sensation particulière de la rétine ayant son caractère propre, ou, comme on dit, son signe local ; il importe peu que, nous connaissions ou que nous ignorions le siège qu’occupe cette sensation sur la sphère creuse de la rétine ; ce qui est essentiel, c’est que par son signe local, cette sensation ne puisse être confondue avec aucune autre sensation lumineuse ayant son siège sur un autre point. Toutes les fois qu’une sensation