Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
440
revue philosophique

Ce langage, on le reconnaîtra, a le mérite de la netteté ; nous voilà bien avertis. Seulement, ne craignez pas que M. Bouillier, avec une déclaration de principes aussi absolue, néglige les conquêtes de la philosophie de l’Inconscient : bien au contraire, il les revendique hautement, mais en supprimant cette expression mystérieuse et en déclarant tout simplement qu’inconscience n’est que moindre conscience. Il suffit d’une piqûre d’épingle pour crever ce ballon germanique qui n’avait guère d’autre utilité que d’amuser les psychologues. Pour donner au mot conscience toute la précision qu’il comporte, M. Bouillier en examine successivement, non les treize acceptions comptées par Al. Bain, nombre un peu exagéré, mais les sens les plus usuels, le sens moral, le sens métaphysique et religieux et le sens psychologique. Il est curieux de se demander comment s’effectue, dans la pensée de l’auteur, le passage de la psychologie à la morale : à coup sûr, un simple changement de sens d’un mot, un caprice du langage ne pourrait pas justifier ce passage. Selon M. Bouillier, « sans sortir de la psychologie, et sans quitter un seul instant la conscience, nous y rencontrerons la morale elle-même, dont nous découvrirons le fondement solide et la règle suprême. » (P. 5.) Cette question de méthode semble préoccuper l’auteur, car il y revient à plusieurs reprises, et non sans raison. Il dit encore au chapitre XIV, p. 242 : « Nous avons dit en commençant comment, à cause de l’impression des faits moraux sur la conscience, la signification de conscience morale était la plus ancienne, comme aussi la plus populaire entre toutes, nous avons encore à en donner ici une raison plus profonde, à savoir l’identité de la conscience elle-même et de la loi morale. » On pourrait peut-être objecter à M. Bouillier que la psychologie nous fait connaître l’homme tel qu’il est et la morale l’homme tel qu’il doit être, et que par conséquent il n’y a pas, à parler rigoureusement, de conscience de ce qui n’est pas encore, de l’idéal moral, objet même de la loi morale, plutôt conçu par la raison que perçu par la conscience. Il ne servirait de rien de répondre que la loi morale n’existe pour nous qu’autant que nous en prenons conscience en nous-mêmes : c’est évident ; mais ce serait trop prouver, car un pareil argument ne tendrait à rien moins qu’à faire de la psychologie la science universelle, puisque la loi morale n’est pas seule dans ce cas, s’il est vrai, comme le voulait Leibnitz, que l’arithmétique et la géométrie soient elles-mêmes innées. N’insistons pas sur cette chicane ; mais que M. Bouillier veuille bien reconnaître qu’il n’y a rien de plus extraordinaire et de plus paradoxal à reconnaître une conscience de la vie physiologique qu’à reconnaître une conscience de l’idéal moral ; les deux opinions peuvent fort bien se justifier si l’on remonte au sens primitif du mot conscience (scire-cum) qui signifie connaissance du fait avec le fait même ou en même temps qu’il se produit.

Le point essentiel du débat sur la définition non plus nominale mais réelle du mot conscience porte au fond sur la distinction de la psychologie et de la physiologie : il faut donc s’arrêter particulièrement aux