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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/452

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voulez, le double aspect d’une réalité à deux faces ; un phénomène résultant d’un mode particulier d’appréhension d’autres phénomènes ; une connexion constante entre des faits physiologiques et des faits psychologiques ; une réduction métaphorique de l’interne à externe, du dedans au dehors : toutes ces théories de M. Spencer, de M. Bain, de M. Th. Ribot, de M. Taine contiennent une part de vérité ; mais n’espérez pas vous passer de la conscience et, pour ainsi parler, l’escamoter en l’expliquant. C’est un fait absolument irréductible : l’amour et la haine, selon l’expression de Tyndall, peuvent correspondre à des mouvements de spirale dextre et senestre de certaines portions de substance grise ; mais un mouvement, rotatoire, ondulatoire ou tout autre, n’est pas l’amour ni la haine, Si la psychologie sans âme indigne M. Bouillier, que dirait-il du cerveau sans conscience imaginé par Maudsley et regardé par lui comme une excellente machine intellectuelle ? Il suffirait, dit Maudsley, qu’un instrument semblable au galvanomètre nous avertit des changements moléculaires internes d’un pareil cerveau : la conscience est presque une faculté de luxe, et qu’on pourrait supprimer sans grand inconvénient. Cette étrange hypothèse rappelle le paradoxe non moins étrange d’un philosophe allemand qui ne nous reconnaît pas le droit de dire : je suis ou : je pense ; il veut qu’on dise : il pense dans mon cerveau, comme on dit d’une manière impersonnelle : il tonne, ou : il fait des éclairs. C’est en lisant de pareilles extravagances que l’on comprend la vivacité de la polémique de M. Bouillier : son bon sens applique à la psychologie le mot que Bossuet appliquait à la théologie mystique de son temps : « Epaississez moi-cela ! » Telles sont aujourd’hui nos habitudes invincibles d’analyse scientifique que chaque fois que nous arrivons à un fait simple et irréductible, instinct ou conscience, nous nous troublons, notre vue s’obcurcit, et, de peur de reconnaître l’impuissance et la limite de notre procédé favori, nous fermons les yeux à l’évidence, semblables à un chimiste qui nierait les corps simples sous prétexte qu’ils-ne sont décomposables par aucun procédé connu.

Après avoir mis la conscience hors d’atteinte, M. Bouillier consacre plusieurs chapitres à en étudier les commencements et les premiers pas, à montrer son intime solidarité avec le principe même de la vie, son innéité et son unité, fondement de toute existence individuelle et personnelle. Problème difficile : comment en effet, nous donner le spectacle de notre naissance à la vie consciente, nous souvenir de ce qui aprécédé la conscience et déchirer le voile qui cache notre existence embryonnaire aussi profondément que la matière dans la théorie platonicienne cache notre vie antérieure et divine ? Le sujet a tenté Buffon et Milton ; mais le roman et la poésie ne peuvent satisfaire une psychologie exigeante et rigoureuse. M. Bouillier aboutit, après une intéressante discussion, à reconnaître, malgré l’opinion contraire de Hartmann, des degrés dans la conscience, et notamment, comme dit Leibnitz, un infimus perceptionis gradus, identique avec le premier sentiment de la vie et de l’effort musculaire, ou plutôt qui est la vie et l’effort même. Plus tard, l’attention