Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
443
ANALYSES.fr. bouillier. La vraie conscience.

s’ajoute à la conscience, mais à l’origine elle ne lui est ni essentielle ni coexistante. On voit que notre auteur est un partisan convaincu de la psychologie de la première enfance, si en faveur aujourd’hui : peut-être même désirerait-on que ce chapitre fût plus longuement développé, depuis que d’habiles observateurs ont essayé, comme Taine, Darwin, Bernard Perez, de lever un coin du voile qui nous dérobe ces obscures existences. Remarquons — ce n’est que justice — que la première édition du livre de M. Bouillier est bien antérieure à ces diverses publications.

Cabanis prétendait qu’il y aurait à faire une psychologie du fœtus même. « Au moment de la naissance, dit-il, le centre cérébral a reçu et combiné déjà beaucoup d’impressions : il n’est point table rase, si l’on donne au sens de ce mot toute son étendue… Il s’en faut beaucoup que les sensations, les déterminations et les jugements qui n’ont lieu qu’après la naissance soient étrangers à l’état antérieur du fœtus. » Voltaire, disciple de Locke en philosophie, réfutait par une boutade la théorie des idées innées « Je ne me souviens pas d’avoir fait de la métaphysique dans le ventre de ma mère ! » On voit que la théorie cartésienne qui ne reconnaissait que des facultés ou des tendances est heureusement complétée par l’école expérimentale elle-même, mieux informée dans notre siècle que du temps de Locke et de Voltaire. Il est prouvé que « la conscience, aussi obscure, aussi confuse qu’on le voudra, est antérieure à la naissance elle-même » (p. 75). Si l’on veut savoir la date exacte de son éclosion entre la naissance de la conception et décider s’il existe une époque préconsciente, il faut se demander à quel moment précis le fœtus commence d’être animé. Sujet de graves discussions chez les scolastiques et les théologiens : si le problème est insoluble, il n’est cependant ni factice ni de peu d’importance, et il implique la solution d’une importante question morale et sociale, la légitimité ou la culpabilité de l’avortement. Selon M. Bouillier, d’accord avec Leibniz, une perception ne saurait venir naturellement que d’une perception, et par conséquent la conscience est innée. On n’éprouve quelque difficulté à concevoir la simultanéite de la pensée et de la vie que par suite de cette idée fausse qui identifie la conscience et l’attention. Vivre, c’est sentir ; sentir, C’est avoir conscience de ses modificateurs internes : le thermomètre de la conscience, comme celui des physiciens, ne saurait avoir qu’un zéro arbitraire, indiquant non pas l’absence de conscience, de température, de chaud ou de froid, ce qui est inintelligible, mais un degré pris pour point de départ et pour terme de comparaison.

La conscience, quoique susceptible d’une infinité de variations en intensité et en clarté, est l’acte un et simple par excellence. La meilleure définition qu’on en puisse donner est peut-être de dire qu’elle est la représentation du multiple dans l’un. Concevoir la représentation du multiple dans le multiple, c’est l’espoir et l’erreur des empiristes ; dans ce miroir brisé, l’homme ne reconnaît plus son image. Le besoin d’unité persiste avec tant de force chez les empiristes eux-mêmes que, en