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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/455

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ANALYSES.fr. bouillier. La vraie conscience.

même de l’âme. Conséquent avec lui-même, il accorde volontiers au naturalisme que la conscience pourrait bien, malgré ses apparences d’unité, être multiple et collective ; elle serait comme conscience cérébrale la résultante de toutes les consciences disséminées dans l’organisme. M. Bouillier le réfute, en reprenant pour son compte la réponse de Socrate à Cébès : l’harmonie est une résultante des consciences élémentaires, soit ; mais l’harmonie a aussi une cause réelle : c’est l’invisible musicien qui fait vibrer la lyre (p. 129). Maintenant, dans la corde qui vibre, il y a des centres harmoniques qui lui donnent le timbre et l’expression : n’en serait-il pas de même dans le corps humain ? Tout en affirmant fortement l’existence de la conscience personnelle, non plus seulement comme résultante, mais comme directrice, ne pourrait-on reconnaître au-dessous d’elle une multiplicité de consciences localisées dans les centres nerveux et constituant au sein de l’être humain qui, selon Aristote, résume la nature entière, l’image de la série animale ? Ce polyzoïsme, cette hiérarchie de petites consciences et d’unités vitales ne comblerait-ils pas l’abime inquiétant que les philosophes ont creusé de leurs mains entre l’âme et le corps ? La conscience permanente et personnelle de l’esprit conserverait sa suprématie sur les consciences passagères des esprits momentanés ; la loi de continuité serait respectée ; l’influence de l’âme sur le corps deviendait intelligible, n’étant plus l’action de l’hétérogène sur l’hétérogène et pouvant désormais être assimilée à l’influence d’une intelligence sur une autre intelligence ; la science et la conscience seraient, après leur long conflit, rétablies dans leurs droits respectifs ; les philosophes et les savants verraient enfin finir leurs longs démêles, et les frais du procès seraient payés par les sophistes et les rhéteurs. Un nouveau et intéressant chapitre s’ajouterait à la psychologie, car, outre la psychologie de l’enfant, la psychologie de l’embryon, il y aurait à écrire la psychologie du corps humain et à descendre dans les profondeurs de ces consciences élémentaires, obscurs ateliers où s’élabore la vie intellectuelle. Tel serait le milieu intérieur psychologique, analogue au milieu intérieur physiologique dont parle Claude Bernard.

Ces théories paraissent à M. Bouillier mériter d’être étudiées avec sympathie, et c’est déjà beaucoup dire en leur faveur mais, en fin de compte il n’y voit guère que des illusions très séduisantes et des hypothèses légèrement présomptueuses. Toutefois les objections de notre auteur sont loin d’être décisives (p. 131 et suiv.) et voici ce qu’on pourrait répliquer : 1o Ce n’est pas seulement, quoi qu’en dise M. Bouillier, reculer la difficulté sans la résoudre, car l’hétérogène, dans la pensée intime du système, disparaît radicalement : il n’y a plus, du moins dans l’homme de matière brute et le monisme remplace la dualité du corps et de l’esprit. Au surplus, ne serait-ce pas déjà un résultat que d’avoir reculé la difficulté ? 2o L’analogie entre la hiérarchie des cellules et la série animale n’est peut-être pas, en effet, concluante et décisive ; mais à coup sûr elle n’est ni trompeuse ni illusoire, car tel de nos ganglions