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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/454

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nous interdisant de parler de l’unité de la conscience, ils nous interdisent aussi, conséquents avec eux-mêmes, de parler de la multiplicité des facultés : les facultés, pourvu qu’on n’en fasse pas des entités imaginaires des êtres de raison et des qualités occultes, doivent être maintenues comme modifications ou aspects divers de l’âme ou plutôt de la conscience. Par une étrange contradiction, c’est au moment même où les physiologistes les localisent dans le cerveau et leur assignent pour ainsi parler leurs domiciles respectifs que les psychologues timorés les abandonnent et les renient. M. Bouillier nous permettra cependant de reconnaître des facultés sans nous croire obligé d’admettre une substance, car nous avons aussi à cœur d’être logiques : si l’âme appartient à la métaphysique, les facultés sont du domaine de la psychologie, et l’on peut reconnaître celles-ci sans rien décider au préalable sur la nature de l’âme. Simples modifications d’un acte réel, elles ne sont pas nécessairement fixées à une substance ou sujet d’inhérence (p. 102, note). Le mot substance est-il absolument synonyme de cause ou d’acte ? ce serait alors un simple abus de mots, mais un abus gros de conséquences dangereuses. Il est nécessaire d’exorciser le fantôme de la substance, de débarrasser la langue psychologique de ces expressions vagues et mystérieuses et de l’enrichir en lui faisant perdre ces ornements douteux et superflus. Rien de plus clair que l’idée de cause ou de force, rien de plus obscur que l’idée de substance : cette âme substantielle devient une sorte de pierre pensante qui est quelque chose en soi, puis qui par surcroît pense, sent et veut. Comment connaître ce qui est au delà de la pensée autrement que par une affirmation mystique ? Par quel acte, par quelle démarche de l’esprit atteindre ce dont tout acte émane, cette substance hypothétique entourée de ses facultés comme un saint de son auréole ? Sceptique sur la substance, sera-t-on inévitablement amené à faire de l’homme un polypier d’images ? Pas le moins du monde ; au cœur de ce phénoménisme est l’acte indéfectible qui en fonde la réalité et la vérité ; au centre de ces images est l’unité vivante dont la fonction est précisément de les unir ou de les unifier. Le résidu de passivité qu’on appelait la substance est un caput mortuum ont il faut débarrasser le creuset de l’analyse psychologique.

M. Bouillier reproche à M. Th. Ribot de substituer au mot conscience l’expression savante de cénesthésie ; ce reproche est peut-être fondé, mais il ne faut pas oublier que M. Th. Ribot se propose précisément, dans ses beaux ouvrages sur la psychologie et la pathologie de l’esprit, d’étudier la fonction, mieux encore, le fonctionnement de la conscience, et que le mot cénesthésie indique parfaitement ce point de vue. La principale fonction de la conscience est de mettre l’unité dans la multiplicité des impressions : suffit-elle à cette tâche ou bien se subordonne-t-elle d’autres consciences pour l’aider et collaborer avec elle ? M. Fouillée admet l’existence des idées-forces se réalisant en actes, « comme par une sorte d’incantation », et semble par cette espèce de chimie idéale créer une foule de petites consciences au sein de la réalité