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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/457

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ANALYSES.fr. bouillier. La vraie conscience.

du monde des apparences à l’être véritable. Mais, comme l’âme est plus large que le moi, il en résulte que la conscience ne connaît pas toute l’âme et n’éclaire, comme le soleil levant, que les sommets, laissant dans l’ombre le fond des vallées ; toutefois, ce qu’elle connaît de l’âme, elle le connaît avec une certitude infaillible, et cela suffit pour réfuter l’idéalisme (p. 221). M. Bouillier accepterait-il la distinction des trois consciences proposée dans une thèse sur l’immortalité panthéistique : conscience vitale ou sens du corps ; conscience réflexive ou sens intime ; supra-conscience ou sens de la réalité interne et métaphysique ? Cela n’est pas certain ; pourtant il écrit : « La conscience doit être rayée de la liste des facultés humaines, non pas qu’elle ne soit rien, mais tout au contraire parce qu’elle est tout » (p. 223) ; et plus loin : « Un point central lumineux, un foyer d’où rayonnent toutes les facultés, voilà comment nous nous représentons l’âme humaine et la conscience. »

En arrivant à la seconde partie de l’ouvrage, nous passons de la psychologie à la morale ; l’intérêt ne fait que s’accroitre, car, avec les mêmes qualités de style et de pensée, l’auteur traite des questions d’une utilité plus immédiate et plus générale. Nous n’analyserons pourtant pas cette curieuse discussion des problèmes moraux à l’ordre du jour, et particulièrement des plus captivants et des plus troublants de tous. Les lecteurs de la Revue n’ont qu’à se reporter au compte rendu du livre Morale et progrès (1876, vol.  1, p. 416), par M. Em. Boutroux. Quiconque est au courant des écrits philosophiques sait qu’après M. Boutroux il n’y a pas même à glaner et qu’il ne peut toucher à un sujet sans laisser quelque chose d’achevé et de définitif. Disons seulement que, en dépit de nombreuses objections venues de tous côtés, M. Bouillier n’a nullement modifié ses anciennes opinions ; il s’en tient à ce qu’on a nommé son pessimisme, un pessimisme d’un nouveau genre, très viril et pas le moins du monde découragé ni décourageant. Il trouve dans notre état social de fâcheux symptômes et met le doigt sur la plaie avec la brutalité apparente d’un bon médecin. Le progrès intellectuel et matériel lui semble peu de chose s’il ne s’y joint le progrès moral ; il devient même un grave danger, et M. Bouillier le dit franchement aux partisans naïfs d’un optimisme béat. Sans partager aucunement ses griefs et ses colères contre l’école sans Dieu, la psychologie sans âme, le progrès sans correctif moral (pp. 9, 31, 304), il est permis d’admirer la franchise de ses attaques et le courage avec lequel il dénonce ce qu’il croit le mal et le danger du moment. Il y a un certain optimisme viril qui ne ressemble pas plus à l’optimisme banal que le patriotisme éclairé ne ressemble au chauvinisme aveugle. La plaie saigne sous le doigt de ce dur médecin, mais c’est peut-être une douleur salutaire et un bon remède à notre imprudence et à notre présomption. Ce. sont des réflexions pleines de bon sens et de gravité que celles-ci. « Que ne faut-il pas craindre du voisinage de quelque autre peuple moins civilisé, mais moins amolli, plus discipliné, plus endurci à la fatigue, sinon plus brave ! »

Alexis Bertrand.