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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/458

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E. Caro. M. Littré et le positivisme. In-12. Paris, Hachette et Cie.

« C’est un noble plaisir de la vie intellectuelle que de se donner à soi-même des motifs d’honorer ceux dont on ne partage pas les doctrines. » Ces délicates paroles de M. Caro, dans son livre récent sur M. Littré et le Positivisme, pourraient servir d’épigraphe à la première partie du volume : elles en résument tout l’esprit. Mais, quel que soit l’intérêt qui s’attache à une figure aussi originale que celle de M. Littré, il y avait à nous donner plus encore qu’un portrait ou qu’une étude, comme eût fait un critique littéraire, fût-il un Sainte-Beuve. M. Littré a été le défenseur le plus savant, le plus sensé, le plus sincère, le plus respecté du positivisme. Qu’en a-t-il fait ? en quel état l’a-t-il laissé ? Quel avenir lui a-t-il préparé par ses interprétations et ses aveux ? C’était là une question d’un intérêt plus général ; et c’est à elle qu’est consacrée la seconde partie du travail. Enfin, dégageons le positivisme de ses illusions, de l’illusion de la neutralité, de l’illusion de la pacification des intelligences et de quelques autres encore. Allons au fond du système : la science positive prétendant se suffire à elle-même et niant tout ce qui n’est pas elle, nous avons alors devant nous ce que M. Caro appelle avec raison le problème capital du xixe siècle. La science positive peut-elle, comme on le prétend, par ses propres forces et ses seules lumières, constituer une conscience nouvelle ? et, si cela est possible, quelle sera cette conscience ? Tel est l’objet de la troisième partie du volume. Reprenons maintenant les trois parties l’une après l’autre.

I. Comme l’observe M. Caro, ce n’était pas une tâche sans difficulté que de faire exposer et raconter par M. Littré lui-même « cette vie toute de travail et de réflexion, l’histoire de ces labeurs presque infinis, l’histoire intérieure et souvent dramatique de son esprit. » La vie de M. Littré a été longue : il a survécu à un grand nombre de ses biographes et de ses critiques. De ses travaux disséminés çà et là, beaucoup étaient oubliés. Des confidences personnelles, dédaignées jadis, précieuses aujourd’hui, s’y glissaient au milieu de dissertations et de polémiques de toute nature. Nous n’en savons que plus de gré à M. Caro de nous avoir donné, dans un cadre facile à embrasser, un portrait aussi complet, où la vie garde sa mobilité et où l’expression, fidèlement reproduite, a son caractère personnel et son unité. Le Dictionnaire a fait connaître partout le travailleur dont les vastes appétits et la ténacité dans le labeur quotidien tenaient du prodige. M. Caro ne se borne pas à fixer, dans la précision de leurs détails, ces souvenirs presque populaires. Il nous les explique par l’accumulation des vertus dont l’hérédité, l’éducation, les efforts personnels et les leçons, si sincèrement interprétées, des événements, avaient formé cette noble nature. Il leur donne surtout un charme d’une mélancolie touchante, en nous faisant pénétrer dans cette âme remplie et quelquefois tourmentée d’émotions naïves. C’était un stoïcien ! Voilà le premier mot qui s’offre à l’esprit, quand on le voit si héroïque devant la souffrance, si désinté-