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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/46

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gence de la pensée, le monde du mécanisme se pose nécessairement. « Le mouvement est le seul phénomène véritable, parce qu’il est le seul phénomène intelligible, et Descartes a eu raison de dire que toute idée claire était une idée vraie, puisque l’intelligibilité des phénomènes est précisément la même chose que leur existence objective[1]. » Nous avons la réalité et la science : la réalité, parce que le monde du mécanisme se distingue des sensations subjectives, s’oppose aux caprices de la fantaisie et de l’expérience individuelle ; la science, parce que ce monde n’existe que dans la mesure où il est intelligible, et qu’il ne pourrait se soustraire aux lois universelles, nécessaires, inéluctables de la pensée, sans s’anéantir avec l’esprit qui le crée.

IV

« Un ensemble de mouvements, dont aucune cause extérieure ne vient modifier la direction et la vitesse soit dans les corps vivants, soit même dans ceux où l’intelligence est jointe à la vie, telle est donc la seule conception de la nature, qui résulte de ce que nous savons jusqu’ici de l’essence de la pensée[2]. » Le mécanisme répond-il à toutes les exigences de la pensée ? La réflexion, en insistant sur la nature de l’esprit et sur ses rapports à l’objet qu’il pense, n’est-elle pas amenée à formuler une loi nouvelle, qui s’impose au monde aussi impérieusement que la loi des causes efficientes. Le mouvement de la dialectique ne nous élève-t-il pas ainsi à un monde qui, sans détruire le monde du mécanisme, le complète, l’achève et lui donne un aspect nouveau ?

La liaison nécessaire des effets et des causes fait de l’univers un phénomène ininterrompu, objet d’un pensée que rien ne brise. Mais qu’est-ce que ce phénomène unique, suite de mouvements qui ne se distinguent que par les places qu’ils occupent dans l’espace et dans le temps ? C’est l’être sans doute ; mais l’être en général est le concept le plus vide, le plus indéterminé : c’est le possible plutôt que le réel. On peut le définir l’abstrait de ce qu’il y a de commun dans toutes les réalités particulières. Toutes les formes ont disparu ; il reste la puissance, ce qui peut-être ceci ou cela, ce qui peut tout devenir. « Une pensée qui reposerait uniquement sur l’unité mécanique glisserait donc en quelque sorte à la surface des choses, sans péné-

  1. Du fondement de l’induction, p. 65.
  2. id., p. 77.