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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/486

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I

C’est Kant qui nous paraît avoir, le premier, posé le problème de la vie esthétique. La solution est en germe, sinon formulée, dans la Critique du Jugement. Et cela est facile à concevoir. En faisant du beau l’objet d’un plaisir désintéressé, d’une satisfaction nécessaire et d’une sorte de sens commun, ce qui lui permet de distinguer le beau du vrai, du bien, du parfait, etc., il semble tracer déjà à la vie esthétique un domaine séparé, où l’activité humaine peut s’exercer d’une façon particulière et indépendante. D’autre part, le goût, la faculté esthétique est pour lui une puissance distincte, destinée à réaliser l’accord des deux autres facultés, la sensibilité et l’entendement. Faculté mixte, il est vrai, son rôle n’est pas moins spécial, celui de servir de lien entre elles et de les mettre en harmonie. Mais ce qui achève de donner à la vie esthétique une fin et un objet propre, c’est la manière dont Kant conçoit le but même de l’art et du beau.

Ce but, quel est-il ? C’est, dit Kant, « le libre jeu des facultés représentatives, l’harmonie subjective des facultés de connaître » (I, § 10). Or ce libre jeu de l’activité intellectuelle, dans son développement total, c’est précisément ce qui assigne à la vie esthétique sa fin particulière et sa fonction dans la vie humaine.

Kant, il est vrai, ne dit pas en quoi consiste cet accord, ni pourquoi ni comment il est produit. Cela devait être, la nature objective du beau restant inconnue dans ce système. N’importe, une base et une raison d’être sont données à la vie esthétique dans le libre jeu des facultés. Aussi tous les successeurs de Kant n’auront qu’à s’emparer de ce principe, à l’étendre et l’approfondir, à le développer et l’appliquer dans leurs théories.

Pour lui, s’il ouvre la voie, on peut dire qu’il n’y reste pas. Kant, même comme métaphysicien, poursuit un but moral ; comme esthéticien, c’est encore le même but qu’il poursuit. Il est et veut être, avant tout, moraliste. C’est le caractère, la pensée dominante de toute sa philosophie. Finalement, en effet, comment définit-il le beau ? Le beau est le symbole du bien. S’il n’est qu’un symbole, ce symbole n’est qu’un signe. Ce signe n’est rien par lui-même ; il n’est que par ce qu’il représente. L’objet est le bien, le beau s’efface et va, comme dirait Platon (1er Hippias), se jeter dans le bien. L’esthétique se trouve ainsi ramenée à la morale, et la vie esthétique à la vie morale, dont elle n’est plus qu’un appendice ou un auxiliaire. C’est ce qui apparaît