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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/491

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bénard. — la vie esthétique

Nous ne dirons rien de Herbart et des esthéticiens de son école, quoique M. Köstlin se rattache lui-même, comme on le verra, par un côté très marqué et important, à ce système et à sa méthode. L’esthétique et la morale, on le sait, ne sont, aux yeux de Herbart, que deux branches à peine séparées du même tronc. Leur dénomination est la même ; la morale est de l’esthétique, et l’esthétique est aussi de la morale. Le decorum et l’honestum se confondent. La vie esthétique n’est alors qu’un des côtés de la vie morale. La distinction devient à peu près impossible.

Mais, quand il s’agit de la vie esthétique, il n’est pas inutile de rappeler le rôle qu’elle remplit dans la philosophie de Schopenhauer, d’autant plus que l’auteur qui a beaucoup emprunté ailleurs, se déclare lui-même le disciple et le continuateur de Kant. L’art on le sait est selon lui un degré de l’objectivation de la volonté. Il a pour objet la pure contemplation des idées ; son effet est de rompre au profit de l’intellect l’équilibre de la volonté et de la raison. Dans la situation où cette contemplation pure place l’individu, celui-ci s’efface et disparaît comme individu. Du moins il s’oublie, il échappe au torrent du temps et aux relations de la vie réelle. Aussi la jouissance esthétique est la fleur de la vie ; mais c’est une fleur qui s’épanouit au milieu des ruines, au bord d’un précipice parmi les ronces et les épines, c’est d’ailleurs un état momentané, rare et passager. Pourquoi ? C’est qu’il est anormal. Le cours habituel de la vie ne permet pas qu’il soit durable. C’est une oasis au milieu du désert, un rayon de soleil à travers les barreaux d’une prison, une vue du paradis dans l’enfer de la vie. Le calme désintéressé de ce spectacle n’est donné d’ailleurs qu’au très petit nombre d’hommes qui savent en jouir et que la culture de leur esprit y a préparés. C’est une distraction, une consolation, mais qui n’a pas de valeur positive. La vie réelle est mauvaise.

Avec les grands systèmes qui appartiennent à un autre mouvement de la pensée philosophique allemande, le point de vue objectif et de l’absolu se substitue au point de vue subjectif de l’idéalisme kantien. Nous aurions à leur demander comment la vie esthétique y est envisagée. Le problème de la vie esthétique ici change de face. La vie esthétique, c’est la face subjective du beau et de l’art. Il s’agit de la manière dont le beau et l’art sont perçus par l’esprit, dont ils agissent sur les facultés. La base est anthropologique et psychologique. Dans les systèmes qui portent le nom d’idéalisme absolu, de quoi s’agit-il ? Du principe éternel et divin dont le développement, dans le monde de la nature et de l’esprit, parcourt des phases successives suivant les lois nécessaires qui président à cette évolution. La méthode consiste à suivre dans toutes les phases et sous toutes les formes le