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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/50

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de nos facultés : une pensée, qui pourrait renoncer à elle-même pour se perdre ou plutôt pour se retrouver tout entière dans les choses, ne connaîtrait plus d’autre loi que l’harmonie ni d’autre lumière que la beauté. Ce n’est donc pas, comme nous l’avions cru, l’universelle nécessité, c’est plutôt la contingence universelle qui est la véritable définition de l’existence, l’âme de la nature et le dernier mot de la pensée. La nécessité réduite à elle-même n’est rien, parce qu’elle n’est pas même nécessaire ; et ce que nous appelons contingence, par opposition à un mécanisme brut et aveugle, est, au contraire, une nécessité de convenance et de choix, la seule qui rende raison de tout, parce que le bien seul est à lui-même sa raison. Tout ce qui est doit être et cependant pourrait à la rigueur ne pas être ; d’autres possibles, suivant Leibniz, prétendaient aussi à l’existence et ne l’ont pas obtenue, faute d’un degré suffisant de perfection ; les choses sont à la fois parce qu’elles le veulent et parce qu’elles le méritent[1]. »

La philosophie fonde la science et se vérifie par elle. Les mathématiques par leur existence même prouvent que l’espace et le temps sont des formes à priori de la sensibilité ; les sciences positives prouvent le mécanisme et la finalité, sur lesquels elles reposent. Comment quelques faits, observés dans un temps et dans un lieu déterminés, permettent-ils d’établir une loi applicable dans tous les temps et dans tous les lieux ? Il faut, dit Claude Bernard, croire à la science avant de faire une science, et croire à la science c’est croire au déterminisme. « Si Chaque phénomène se produit dans des conditions absolument invariables, il est clair en effet qu’il suffit de savoir ce que ces conditions sont dans un cas pour savoir par cela même ce qu’elles doivent être dans tous[2]. » Mais le mécanisme suffit-il à légitimer l’induction. Les mouvements de l’instant qui commence pourraient Continuer les mouvements de l’instant qui finit et former toutefois par leur résultante un monde entièrement nouveau, Il n’y a rien dans les lois mécaniques qui garantisse le retour des mêmes combinaisons. « Le rôle de ces lois se borne à subordonner chaque mouvement à un précédent ; il ne s’étend pas jusqu’à coordonner entre elles plusieurs séries de mouvements[3]. » Si nous savions seulement que les mêmes phénomènes ont lieu dans les mêmes circonstances, nous serions toujours menacés de voir le monde se transformer brusquement[4].

  1. Du fondement de l’induction, p. 95.
  2. id., p. 14.
  3. id., p. 78.
  4. id.., p. 79. « La conservation des corps bruts ne nous paraîtrait pas plus