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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/51

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SÉAILLES. — philosophes contemporains

Induire, c’est croire, c’est affirmer qu’un ensemble de conditions, dont on ignore le détail infini, se concerte pour maintenir l’ordre du monde. Sans cette croyance implicite, de quel droit entreprendrions-nous une science des êtres vivants, quand nous ne savons rien des mouvements sans nombre que comprennent leur formation et leur développement, quand nous établissons des rapports constants entre des termes que nous regardons comme simples, mais dont chacun en réalité enveloppe des millions de mouvements moléculaires inconnus ? Et ce que nous disons des corps vivants, nous pouvons le dire des corps bruts, car il n’en est pas un qui ne soit composé, qui ne soit déjà « un système de mouvements ». Si nous devions attendre que nous sachions le tout d’une chose, nous ne saurions presque rien. Il est très rare que nous puissions « suivre par le calcul la marche uniforme de la science, qui travaille au plus profond des choses ; l’induction proprement dite consiste plutôt à deviner, par une sorte d’instinct, les procédés variables de l’art qui se joue à la surface[1]. » Faire une induction, c’est donc « admettre à priori que l’harmonie est en quelque sorte l’intérêt suprême de la nature, et que les causes, dont elle semble le résultat, ne sont que des moyens sagement concertés pour l’établir[2]. »

La réflexion de la pensée sur sa nature et sur ses rapport, avec son objet nous conduit ainsi par une série de déductions, dont tous les termes s’enchaînent, à des conceptions successives et complémentaires du monde. De la combinaison des formes de l’espace et du temps avec la loi constitutive de la pensée résulte d’abord la nécessité subjective de se représenter le monde comme un ensemble de mouvements se poursuivant avec la même vitesse dans la même direction. Cette première apparence se modifie pour exprimer, en même

    certaine que celle des êtres organisés : car on admet généralement que ces corps, sans même en excepter ceux que la chimie regarde provisoirement comme simples, sont composés de corps plus petits… L’existence même de ces petits corps serait à nos yeux aussi précaire que celle des grands : car ils ont sans doute des parties, puisqu’ils sont étendus, et la cohésion de ces parties ne peut s’expliquer que par un concours de mouvements qui les poussent incessamment les unes vers les autres : ils ne sont donc à leur tour que des systèmes de mouvements, que les lois mécaniques sont par elles-mêmes indifférentes à conserver ou à détruire, etc. »

  1. Du fondement de l’induction, p. 82. « Il est vrai que si nous connaissions, à un moment donné, la direction et la vitesse de tous les mouvements qui s’exécutent dans l’univers, nous pourrions en déduire rigoureusement toutes les combinaisons qui doivent en résulter ; mais l’induction consiste précisément à renverser le problème, en supposant au contraire que l’ensemble des directions et des vitesses doit être tel qu’il reproduise à point nommé les mêmes combinaisons. » (P. 78.)
  2. id., p. 80.