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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/503

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bénard. — la vie esthétique

lyse kantienne. Mais, avec cela, tout n’est pas dit, et il faut aller au delà, et cela ne s’explique pas seul. L’objet auquel tend et doit tendre la vie humaine dans ses diverses directions peut seul donner cette explication. C’est de cet objet qu’elle tire toute sa valeur et son importance ; c’est même ce qui seul est sa raison d’être. Ainsi en est-il de la vie morale, sociale, politique et religieuse. La vie scientifique n’est la vie scientifique, elle n’a de valeur ou de prix que par son objet, la vérité. L’ardente recherche du vrai, sa poursuite incessante et désintéressée, comme répondant à la nature humaine intelligente et raisonnable, c’est là ce qui la constitue. La vie morale n’est telle et n’a de valeur que par l’idée du bien, dont elle est la pratique constante et désintéressée. La sainteté, qui est le but de la vie religieuse, ne s’explique pas sans Dieu. Dieu y est le but et le modèle. L’homme religieux cherche à ressembler à Dieu, il aspire à se réunir à lui ; dans cette union doit se trouver la félicité. La vie sociale et politique a pour idéal la justice qu’elle doit réaliser. Il en est absolument de même de la vie esthétique ; son objet, son idéal à elle, c’est le beau, l’idée du beau. Aussi, tant qu’on n’aura pas déterminé, défini cette idée, on ne comprendra pas la vie esthétique ; on ne la distinguera pas ; on n’aura pas marqué son vrai domaine et tracé ses limites. La distinction qu’on établit entre elle et la vie intellectuelle ou la vie morale est provisoire ou même n’a pas de sens. Voilà ce qui disent les idéalistes. Il est très bien de décrire les faits de la nature humaine, les actes de l’esprit, les facultés, l’imagination elle-même, les penchants, qui lui correspondent ; mais aucun de ces faits ni leur ensemble ne contiennent leur explication. On comment passer du sujet à l’objet ? Ce salto mortale, comment se fait-il ?  ;

L’auteur ne le dit pas ; ce problème, pour lui, n’a pas l’air d’exister ou du moins ne l’embarrasse pas ; il saute très légèrement par-dessus, il semblerait, selon lui, que l’harmonie dans le sujet expliquerait l’harmonie de l’objet. C’est le contraire, disent les idéalistes. C’est parce que le beau est harmonieux, parce qu’il est harmonie, que l’esprit, qui le voit et le contemple, sent lui-même l’harmonie s’introduire dans ses facultés. Voilà ce qui explique le jeu facile et libre des forces de l’âme et aussi cette joie pure, ce plaisir désintéressé du beau. Nous n’insistons pas ; mais il y a là un problème qui n’est pas résolu, que l’auteur devait résoudre.

Le retour à la psychologie et à l’anthropologie fournit une base solide, je le veux bien ; mais encore faut-il que là dessus puisse s’élever l’édifice.

D’autres objections se présentent, que nous nous bornons à indiquer. Cette liberté, dont on parle, est-ce une liberté réglée ou non