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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/508

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n’avions pas conscience, mais qu’il avait parfaitement distinguées, il se mit à dire :. « Chez moi, quand j’ai mangé, ma mère ne me laisse « pas à table. » On s’empressa d’obtempérer à son désir, qu’on croyait très légitime. On se mit à jouer avec lui, et il s’amusa bien pendant une demi-heure. Enfin il se mit tout à coup à pleurer et à gesticuler d’un air désespéré ; il parlait de sa mère, et l’on pensa qu’il regrettait sa mère ; mais il se hâta de dire : « Maman fait ceci et cela, quand elle me couche, » et une foule de prescriptions relatives à son coucher, et qu’il regardait comme autant d’obligations à remplir à son égard. Ainsi ce que l’on fait ordinairement autour de lui était pour lui ce qui devait être fait. Il en était de même pour ses propres actions. »

M. Perez ajoute : « Le bien, c’est donc, pour le jeune enfant comme pour l’animal, ce qui est permis, et le mal ce qui ne l’est pas. » Ceci demande à être développé, et l’on voit dans la plupart des cas que l’acte permis est un acte habituel. L’acte permis est en effet celui dont la réalisation et la répétition n’ont point été empêchées[1] ; c’est bien souvent un acte que les enfants peuvent voir accomplir par les personnes qui les entourent[2].

Une chose à remarquer, c’est que, dès ce premier degré, l’idée de l’obligation peut être entièrement dégagée du sentiment de l’intérêt personnel, tel qu’on le comprend généralement. Un fait assez intéressant, cité par M. Perez et auquel on pourrait trouver des analogues, montre combien l’idée du devoir peut se former indépendamment des expériences d’utilité. Je ne veux pas dire que l’utilité n’ait eu aucune part dans la formation de nos sentiments moraux ; mais il est constant que l’observation désintéressée en a eu une très grande aussi. « La première fois, dit M. Perez, qu’un enfant, maintenant âgé de quatre ans, fit un mensonge réfléchi, sa mère crut devoir le punir ; elle lui dit qu’il allait être enfermé dans la cave, elle lui fit descendre avec elle l’escalier qui y menait. Chemin faisant, l’enfant, dont l’imagination était frappée de l’importance qu’on attachait à sa faute et qui se croyait grandement coupable, dit à sa mère : « Mais, maman, je ne suis peut-être pas assez puni pour une aussi grande faute ? » L’enfant est persuadé que le châtiment doit suivre la faute et être en proportion avec le délit ; il est réellement peu probable qu’à l’âge de moins de quatre ans il ait pu fonder son opinion sur

  1. Plus tard on décide de la valeur morale d’un acte par sa ressemblance et sa différence avec les actes défendus.
  2. Ajoutons que l’habitude de l’acte n’est pas seule à considérer, mais aussi les habitudes de l’esprit, et les actes permis sont ceux dont les parents tendent surtout à faire considérer la réalisation comme vraie.