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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/507

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paulhan. — l’obligation morale

soustraire. D’autres raisons, toutefois, me paraissent plus importantes.

Commençons par les états inférieurs de l’obligation morale, nous voyons d’abord, à ce qu’il me semble, l’attente donner naissance à un sentiment assez particulier, celui de l’obligation non point acceptée par le sujet, mais imposée par lui à un autre être conscient, en vertu des lois de sa nature qu’on a découvertes ou qu’on a cru découvrir. Il s’agit ici d’un sentiment peu différencié encore, d’une idée peu nette où l’idée d’attente et l’idée de devoir se confondent. Remarquons toutefois qu’il ne saurait être question ici d’établir l’antériorité du droit relativement au devoir. Je crois que l’homme impose des devoirs aux autres avant de s’attribuer un droit. Ces deux opérations, en effet, ne sont pas analogues. Le devoir qu’on impose aux autres implique une réflexion portant sur le monde objectif ; le droit qu’on s’attribue implique une réflexion portant sur le monde subjectif. On peut dire que les devoirs et les droits sont deux manières d’envisager le même fait, mais, de ces deux manières, lune seule est d’abord employée, celle qui fait connaître le devoir.

Ce fait du devoir imposé précédant le devoir senti, se manifeste bien souvent chez l’enfant. Chacun a pu le constater, et ce serait se tromper que de voir dans l’égoïsme seul les causes de ce fait.

C’est de l’expérience que naît l’idée du devoir. Un enfant est porté à attendre la répétition des phénomènes qu’il aura vus s’accomplir une fois. S’il s’est brûlé en approchant les mains du feu, il en conclura bientôt que le feu brûle et se gardera de recommencer l’expérience. Il fait des inductions, des généralisations avec plus ou moins de bonheur, il est vrai, car il les fonde souvent sur des circonstances sans importance et purement accessoires, malgré les apparences ; mais il en fait, cela est incontestable, et il est ainsi conduit, par la force de l’habitude, à attendre des personnes qu’il connaît, une conduite semblable dans des circonstances semblables. Bien des animaux d’ailleurs font de même. L’enfant a donc une tendance très forte à ériger l’habitude en règle de conduite et à se montrer surpris lorsqu’elle est violée. Je ne dis pas que cela se produise inévitablement et d’une manière uniforme et que l’enfant soit toujours surpris quand il voit un changement de conduite chez les personnes qui l’entourent ; mais le fait se produit quelquefois, et quelques exemples nous montreront bien l’importance et la portée de ces premières formes d’un sentiment. « Nous avions l’été dernier dans notre famille, dit M. Bernard Perez, un petit neveu qu’on nous avait confié pour deux mois… À la fin du repas, excité par les cajoleries qu’on lui avait faites et par certaines gâteries dont nous