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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/518

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contre toute morale possible qui n’est ni métaphysique ni théologique, c’est-à-dire qui ne s’appuie pas sur des bases plus fragiles encore que, les instincts sociaux. On peut dire à la vérité que l’homme en ce cas ne cesserait pas d’obéir à un idéal plus ou moins grossier et que l’obligation subsisterait encore ; mais il faut reconnaître aussi que cette obligation pourrait n’avoir plus rien de moral ou mieux de social ; encore pourrait-on répondre de plus que l’influence de l’idée serait bien diminuée sans doute une fois qu’elle serait connue pour ce qu’elle est, et qu’il y aurait encore à envisager la question de savoir si le changement radical et complet des idées sur le monde théologique et métaphysique n’entraînerait pas comme conséquence une modification de la nature humaine suffisante pour que l’idéal se laissât découvrir moins facilement.

Il faut reconnaître cependant qu’il y a des chances pour que les choses se passent autrement, et que, si l’évolution se fait à temps, les habitudes d’esprit peuvent rester à peu près ce qu’elles sont, malgré des changements très importants pour la conservation d’une morale suffisante et la création d’une morale nouvelle, par des procédés semblables aux procédés ordinaires. On peut se demander en ce cas ce que devient la loi morale, en supposant que l’évolution se fasse régulièrement. Il est intéressant, ce me semble, de voir se rapprocher encore à la fin de l’évolution, comme elles étaient rapprochées au début, l’obligation naturelle et l’obligation morale. On sait que le mot loi a une double acception, comme le mot devoir ; il est tantôt une expression abstraite indiquant un déterminisme de phénomènes naturels, indiquant par conséquent ce qui se passe ; il est tantôt une expression abstraite indiquant un ordre de faits qui doivent être réalisés.

« Il y a des lois, écrit M. Pillon[1], qui n’appartiennent qu’au monde intelligent et qui n’ont de commun que le nom avec les lois des phénomènes. Ces lois sont appelées impératives et morales, impératives parce qu’elles commandent à la volonté ce qui doit être fait, morales parce qu’elles règlent les habitudes, les mœurs, la conduite. »

« Cette distinction qui paraît si simple, et qui pourtant est si rarement faite avec netteté, des lois des phénomènes et des lois impératives, est fondamentale dans le criticisme où elle répond à celle de la raison spéculative et de la raison pratique. Pour en apprécier l’importance, il suffit de considérer que la confusion des deux espèces de lois, résultant de l’application d’un même signe à deux idées absolument différentes, tend à favoriser le positivisme contemporain en

  1. La Critique philosophique, 1887, II, p. 233 : L’équivoque du mot loi.