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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/517

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paulhan. — l’obligation morale

la nature de l’homme ou des êtres spirituels et qui varie avec elle[1]. — Je crois devoir rappeler encore ici que je ne nie pas du tout l’existence d’autres facteurs importants ayant contribué à la genèse de l’obligation morale ; je n’ai voulu ici qu’en dégager un qui me paraît des plus importants et qui était un peu négligé.

II

On voit ce que devient la morale, en se plaçant à ce point de vue, ce qu’il y a à la fois de légitime et de faux dans les idées ordinairement reçues. L’obligation ne peut venir que de nous-mêmes ; elle a son fondement dans l’expérience au sens large et dans le raisonnement ; elle est psychologique, non métaphysique, ou théologique. Si elle perd à cela la force que pouvait lui communiquer l’idée de l’absolu ou l’autorité divine, elle y gagne la force que pourrait lui faire perdre la critique de la métaphysique ou de la théologie. Elle se présente comme un fait naturel et permanent. L’obligation morale, si la théorie que je défends est la vraie et vient à triompher, c’est la force de la conception idéale de l’homme s’imposant à l’homme réel et le dirigeant. L’influence de l’idée sur l’acte a été étudiée par plusieurs physiologistes. On sait que M. Fouillée en a fait l’une des bases de sa philosophie. Elle est incontestable, et elle assure certainement une certaine durée à l’obligation morale. Toutefois il faut reconnaître que l’obligation morale doit être entendue dans un sens tout différent de l’acception ordinaire.

Ce qui est permanent en effet, c’est ce qui se retrouve dans toutes les morales, une conception de la nature de l’homme. Or il est possible que l’homme reconnaisse la vanité de ses idées sur l’obligation morale ; en ce cas, sa conception de la nature humaine change, et, par cela même qu’il se représentera l’homme comme n’étant soumis à aucune loi morale, son idéal s’imposant à lui, il ne sera plus obligé en fait. L’obligation même le délivre de l’obligation. Les objections de M. Guyau contre la morale évolutioniste me semblent porter

  1. On oppose souvent la nature et la morale. Cependant il est aisé de voir que les deux se confondent souvent et j’aurais pu citer ce fait tout à l’heure à propos des survivances de la forme primitive de l’idée d’obligation. Qui n’a entendu dire : Il est naturel d’agir ainsi, comme synonyme de : Il est bon ? De même qu’entend-on par un crime contre nature, sinon un acte qui va plus que tout autre contre l’idée que nous nous faisons de l’homme. Et ce sont ceux-là qui sont les plus horribles. Et nous voyons aussi comment cette conception de la nature change et comment ce qui était anti-naturel peut devenir naturel et réciproquement, et comment de ce changement dans la conception de la nature résulte un changement dans la conception de la morale, qui, à vrai dire se confond avec le premier.