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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/523

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fonsegrive. — les prétendues contradictions de descartes

la contradiction apparente entre ces deux textes saute aux yeux.

Pour la véracité divine, qui garantit l’évidence après avoir été garantie par elle, Descartes se contente dans les Réponses aux Objections d’atténuer considérablement la portée du texte du Discours de la méthode. Ce ne serait plus maintenant la certitude de toute évidence que Dieu servirait à garantir, mais seulement la certitude de la mémoire des choses claires et distinctes. Toutes les choses que nous concevons à présent fort clairement sont assurées même si nous ne croyons pas à l’existence de Dieu ; mais, pour celles que nous nous ressouvenons seulement d’avoir autrefois clairement perçues, nous avons besoin, pour en être assurés, de nous appuyer sur Dieu[1].

Mais ici encore les Principes augmentent, s’il est possible, la portée du texte du Discours. Dieu n’est pas la cause de nos erreurs, dit Descartes, il n’est pas trompeur, « et cette conviction seule nous doit délivrer de ce doute hyperbolique où nous avons été pendant que nous ne savions pas encore si celui qui nous a créés avait pris plaisir à nous faire tels que nous fussions trompés en toutes les choses qui nous semblent très claires. Elle nous doit servir aussi contre toutes les raisons que nous avons de douter et que j’ai alléguées ci-dessus[2]. » Ce n’est en effet qu’un Dieu vérace qui peut faire échec à un Dieu trompeur.

Ainsi, dans les textes de Descartes, dans l’économie interne de son système, la contradiction semble éclater à chaque pas. Ce phénomène étrange chez un penseur qui prétend fonder une philosophie ne pouvait manquer d’attirer l’attention, et la révolution cartésienne a

    en même temps qu’il pense, que, nonobstant toutes les plus extravagantes suppositions, nous ne saurions nous empêcher de croire que cette conclusion : Je pense, donc je suis, ne soit vraie, et par conséquent la première et la plus certaine qui se présente à celui qui conduit ses pensées par ordre. »

  1. « Je ne suis point tombé dans la faute qu’on appelle cercle, lorsque j’ai dit que nous ne sommes assurés que les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies qu’à cause que Dieu est ou existe, et que nous ne sommes assurés que Dieu est ou existe qu’à cause que nous concevons cela fort clairement et distinctement, en faisant distinction des choses que nous concevons en effet fort clairement d’avec celles que nous nous ressouvenons d’avoir autrefois fort clairement connues. » (Rép. aux IVe object., 2e partie, no 63, t.  II, p. 165.) — « J’ai dit en termes exprès que je ne parlais que de la science de ces conclusions, dont la mémoire ne peut revenir en l’esprit lorsque nous ne pensons plus aux raisons d’où nous les avons tirées. » (Rép. aux IIe object., no 22, t.  II, p. 57.) — « Car, premièrement, nous sommes assurés que Dieu existe, pour ce que nous prêtons notre attention aux raisons qui nous prouvent son existence ; mais, après cela, il suffit que nous nous ressouvenions d’avoir conçu une chose clairement pour être assurés qu’elle est vraie, ce qui ne suffirait pas si nous ne pensions que Dieu existe et qu’il ne peut être trompeur. » (Rép. aux IIe object., loc. cit.) — Voy., en effet, Ve Méditation, nos  7, 8, t.  I, p. 154.
  2. Principes, 1re part. , no 30, t.  I, p. 243.