Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/527

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
517
fonsegrive. — les prétendues contradictions de descartes

cation qu’il a donnée du Cogito, l’auteur ne devrait pas, dans la seconde hypothèse, supposer que Descartes a besoin de croire à la vérité objective de quelque idée que ce soit. Autrement, il ferait un enthymème, ce que le P. Jaffre a déjà reconnu faux. Quant à la première hypothèse, l’auteur a l’air de croire, et son maître Liberatore est entièrement de cet avis[1], que Descartes pourrait atteindre l’existence du moi et de ses affections, mais qu’il n’en pourrait atteindre aucune autre. Mais il faut ici aller plus loin et soutenir que Descartes ne peut, sans paralogisme, atteindre même l’existence de son moi. Il ne peut s’affirmer que comme un phénomène, nullement comme une substance. C’est Kant qui s’est chargé de cette démonstration.

Voici à quoi se réduit l’argumentation de Kant. La seconde proposition du Cogito, ergo sum est ou analytique ou synthétique. Si elle est analytique, elle n’affirme rien de plus que ce qu’affirmait la première proposition. Je s’apercevait lié au phénomène de la pensée ; il était lui-même un phénomène et s’affirmait comme tel, dans la première proposition : Je pense ; s’il ne change pas de nature, ce qu’il n’a pas le droit de faire dans l’analyse, le je, le moi, qui s’affirme dans je suis, sera encore un moi phénoménal, et l’existence qu’il affirmera de lui-même ne pourra être qu’une existence phénoménale. Le Cogito, ergo sum ne serait alors qu’une tautologie.

Mais, continue Kant. Descartes ne l’a pas entendu ainsi ; il a prétendu sortir du monde des phénomènes et atteindre dans le fait de la pensée la substance même du moi ; il fait alors un paralogisme, le paralogisme que M. Renouvier appelle saltus mortalis[2], et qu’aucune psychologie rationnelle ne peut éviter. Alors, en effet, la seconde proposition du Je pense, donc je suis est synthétique. De quel droit Descartes passe-t-il de la constatation d’un phénomène à l’affirmation d’une substance ? Le Je a changé de sens. Simplement phénoménal dans Je pense, il devient substantiel dans Je suis. Je pense est un fait de conscience, un phénomène ; je ne puis tirer de ce fait que ce qui y est contenu, c’est-à-dire l’existence d’un phénomène, de quelque nom que j’appelle ce phénomène ; si je prétends y trouver l’existence d’une substance, j’ajoute de moi-même, dans la seconde proposition, quelque chose qui n’était pas contenu dans la première ; j’opère donc une synthèse, quand je prétendais ne faire qu’une analyse ; je me trompe donc, je raisonne mal. Je n’aperçois’en moi que des phénomènes, je ne m’aperçois moi-même que comme un phénomène ; la pensée que j’ai de moi est

  1. « Saltem in egoismo, quo solam nostri nostrarumque affectionum existentiam cognitam habeamus, jugiter esset permanendum. » (Op. cit., t.  I, p. 241.)
  2. Essais de critique générale, Ier Essai, 2e édit., t.  I, p. 21.