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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/54

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tendance du mouvement vers une fin. Il y a autant de forces qu’il y a de mouvements, parce qu’il n’y a pas de mouvement sans direction, et plusieurs mouvements qui ont une même direction sont par là même l’expression d’une seule force. Les forces ne sont donc pas des êtres ; elles sont les mouvements eux-mêmes, mais saisis dans leur direction, dans leur unité, dans leur concours harmonique. Est-ce à dire qu’il n’y ait de réel que le mouvement et ses résultantes ? Ce serait oublier que la nécessité de penser sous la forme de l’espace et du temps nous fait renverser l’ordre des termes ; qu’à vrai dire, le bien étant seul intelligible, ce n’est pas la fin qui est faite par les moyens, ce sont les moyens qui sont pour la fin et par elle. Prémunis contre les illusions de la métaphysique de la force, nous pouvons compléter notre conception de l’univers, sans nous embarrasser d’un monde d’entités, dont les rapports entre elles et avec la pensée seraient inintelligibles. Les qualités secondes, les espèces chimiques, la vie, l’âme, même, autant de systèmes de mouvements, systèmes de plus en plus complexes, dont l’harmonie ne suppose pas un être substantiellement distinct des mouvements qu’il organise, mais des idées directrices, des désirs efficaces de la nature, présents aux mouvements mêmes qui se concertent en une même direction.

La dialectique positive crée l’univers en dégageant par une marche progressive le système des idées et des lois de l’esprit. Le phénomène, c’est l’espace et le temps ; la pensée possible, c’est l’unité de l’esprit conciliée avec la diversité de l’espace et du temps, c’est le mécanisme ; la pensée réelle, c’est la diversité se retrouvant au sein même de l’unité ; la variant, la multipliant sans la détruire, c’est l’harmonie, c’est la finalité. Notre conception de l’univers se complète en se développant. « L’empire des causes finales, en pénétrant, sans le détruire, dans celui des causes efficientes, substitue partout la force à l’inertie, la vie à la mort et la liberté à la fatalité. L’idéalisme matérialiste ne représente que la moitié ou plutôt que la surface des choses : la véritable philosophie de la nature est au contraire un réalisme spiritualiste, aux yeux duquel tout être est une force, une pensée qui tend à une conscience de plus en plus complète d’elle-même[1]. » Mais la force n’est pas plus l’absolu que le mouvement : ce sont deux symboles par lesquels l’esprit exprime ses lois dans leur rapport aux formes de l’espace et du temps. Nous ne devons jamais oublier qu’en percevant l’univers nous ne sortons pas de la pensée, que nous ne pouvons, sans tomber dans des contra-

  1. Du fondement de l’induction, p. 112.