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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/53

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SÉAILLES. — philosophes contemporains

vivifie. Ce n’est plus l’indifférence du mécanisme inflexible, c’est le grand tressaillement de l’être soulevé par l’amour qui pressent la beauté. La nature est un immense élan vers la perfection, une prière, une adoration. Elle est une activité vivante et laborieuse, dont le désir soutient l’effort et qui, sans se séparer d’avec elle-même, se divise en une multitude d’activités ouvrières de la même œuvre. Pour comprendre ce qui est, ce n’est pas en arrière, c’est en avant qu’il faut regarder ; tout est en soi et pour soi, mais tout est aussi la matière des grandes choses qui se préparent. Le monde est une ascension vers l’idéal ; une pensée invincible et rayonnante le fascine et l’attire : c’est l’amour tout-puissant du Dieu inconnu, du Dieu qui veut être, qui explique et qui justifie les ébauches successives, dont l’être tour à tour se dégoûte et s’enchante.

Nous sommes tentés de nous croire en possession de l’absolu. Nous concevons notre âme comme une force et le monde sur le modèle de notre âme. Il semble que tout nous devienne intelligible en nous devenant semblable. Le secours qui nous vient de l’univers entier nous rassure ; l’espérance invincible n’est que la conscience que la nature prend en nous du désir tout-puissant qui la meut tout entière. Etrange illusion qui pousse toujours l’homme à opposer un objet au sujet ! Le monde n’est pas en dehors de la pensée, il est son œuvre, il est en elle un mirage nécessaire. « Nous ne connaissons d’autre existence absolue que la double loi des causes efficientes et des causes finales ; mais nous ne pouvons comprendre la finalité que si elle se réalise dans la tendance au mouvement, de même que nous ne pouvons nous représenter la nécessité que sous la figure du mouvement lui-même[1]. » Étant données les formes à priori de la sensibilité, la pensée ne peut être une et réelle que par la double loi des causes efficientes et des causes finales ; c’est la combinaison de ces deux lois avec les formes de l’espace et du temps qui crée le monde. Ces deux lois sont donc absolues, en ce sens que sans elles le monde s’anéantit avec la pensée du monde. Mais, comme d’autre part ces deux lois n’ont de sens que par le rapport qui s’établit entre la pensée et les formes illusoires de l’espace et du temps, il est contradictoire que les constructions qui symbolisent ce rapport nous donnent l’absolu.

La force n’est pas une chose en soi[2], un absolu ; elle n’est que la

  1. Du fondement de l’induction, p. 100.
  2. « La force n’est pas plus une chose en soi que le mouvement, ou plutôt la force et le mouvement ne sont que les deux faces opposées du même phénomène, saisi par le même sens, d’on côté sous la forme du temps, de l’autre sous celle de l’espace. » (P. 100.)