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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/544

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on ne le peut penser. Voilà le raisonnement de Parménide, si l’on s’en tient à la lettre seule des fragments.

Posez le non-être : pariez en faveur du non-être ; car il faut parier soit pour l’être, soit pour le non-être ; entre les deux, pas de parti intermédiaire (ici encore, le principe du tiers exclu est implicitement affirmé). Vous ne pouvez parier pour l’existence du non-être. Formulez la proposition : τὸ μὴ ὂν ἐστὶ. Elle ne signifie rien, puisqu’elle est faite de termes contradictoires : Le non-existant existe. Voilà où l’on aboutit. L’absurdité est manifeste.

Ceci posé, le vide, c’est-à-dire le rien, l’infini, telle est, selon les Pythagoriciens, l’origine du multiple. Sans l’infini, l’impair, la numération, la pluralité des existences ne serait pas. Mais la notion de l’infini, c’est-à-dire du non-être, est une notion contradictoire ; donc, l’infini, le vide, le non-être sont de purs néants, des pseudo-idées, pour parler le langage d’Herbert Spencer. Donc pas de vide ; donc la condition considérée par les Pythagoriciens comme essentielle à l’existence de la pluralité est décidément irréalisable. L’un seul existe, l’être et l’un sont réciproques.

Le monisme de Parménide repose sur des origines logiques. Est-ce à dire que ce soit là un monisme idéaliste ? Sans aucun doute, à ne considérer que les tendances. Mais si, au lieu de chercher ce que Parménide — au cas où il eût vécu de notre temps — aurait pu dire, on cherche ce qu’il a dit, on est forcé de convenir qu’il est réaliste. Selon Aristote, il ne s’est point élevé au-dessus du point de vue de la matière. Cela est attesté par les fragments mêmes de Parménide : Au lieu d’absorber l’être dans la pensée, Parménide ferait précisé= ment le contraire. En outre, l’être tel qu’il se le représente, partout homogène, continu, indivisible (voir les Fragments, Mullach ; Paris, Didot, 1860), ce n’est évidemment pas une matière déterminée, c’est l’espace, que chacun sait être homogène et continu[1].

L’espace, dira-t-on, est divisible. D’accord, mais il n’apparaît comme tel qu’à une condition : c’est d’être occupé par des corps : Parménide ne pouvait se placer à ce point de vue : la logique ne lui avait-elle pas démontré que la pluralité est impossible ?

Terminons par une dernière remarque. Si Parménide s’est livré — pieds et poings liés, pourrait-on dire — à la logique abstraite et s’il en est resté l’esclave docile, gardons-nous bien de ne pas admirer cette superbe — contre laquelle celle d’Épictète paraît bien peu diabolique — qui consiste à ne tenir aucun compte des protestations de

  1. Nous empruntons cette interprétation de la doctrine de Parménide aux leçons inédites de philosophie ancienne faites par M. Lachelier, à l’École normale, en 1876-77.