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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/545

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notes et discussions

l’expérience. De son temps, les savants étaient les métaphysiciens, ou plutôt, pour nous exprimer correctement, les philosophes étaient les physiciens. Dès lors, toute controverse se passait entre philosophes, et le souci de ne pas se créer d’embarras du côté de la science n’existait pas. En outre, les moyens d’observation, les critères des vérités empiriques faisaient absolument défaut ; la difficulté, l’impossibilité même des observations, les résultats contradictoires de ces observations, disons mieux, des hypothèses fondées sur de soi-disant expériences, pouvaient autoriser un génie audacieux comme celui de Parménide à reléguer dédaigneusement dans la sphère de l’apparence tout ce qui a rapport au monde perçu par le sens. Héraclite ne s’était-il pas, dans une certaine mesure, montré défiant à l’égard de l’observation sensible ? À fortiori, Parménide, qui (consciemment ou inconsciemment, peu importe) n’avait foi qu’en la logique, pouvait-il déclarer le monde rationnel et laisser à la nature le soin de s’arranger comme il lui aurait plu, quitte à ne représenter qu’une longue suite de fantômes sans consistance, sans existence. Le mérite d’être conséquent avec lui-même lui était sans doute plus facile de son temps que du nôtre, et ce n’est pas 400 ans avant J.-C. qu’après avoir pris la peine d’inventer l’homogène et de l’ériger en premier principe, on eût presque aussitôt cédé devant les protestations de l’expérience. L’instabilité de l’homogène, voilà ce qu’admettait Héraclite devançant M. Spencer d’un grand nombre de siècles. Voilà ce que Parménide déclarait absurde. La logique lui en faisait une loi.

Pour nous résumer, la négation de la pluralité repose dans le système de Parménide : 1o sur la nécessité admise par l’école de Pythagore d’expliquer la multiplicité des êtres, soit par la coopération de l’un et de l’infini, soit par l’intervention de ce dernier ; 2o sur la contradiction impliquée dans l’affirmation du non-être, c’est le néant, car on ne peut poser le non-existant comme existant sans se contredire. Parménide avait donc au degré suprême, à un degré que ne devait dépasser aucun autre après lui, ce qu’un philosophe de notre temps appelle avec une profonde justesse « le sentiment de la rationnalité ». Rationnel et réel ne faisaient qu’un à ses yeux. Tout cela était pressenti, plutôt que nettement conçu : de là ce réalisme, qui paraît ex abrupto, et qui surprend le lecteur moderne, quand il entend Parménide lui parler d’une sphère homogène, continue, indivisible.

Dans les fragments de Parménide, l’être est dit semblable à une sphère : Parménide ne va point jusqu’à dire l’Être est une sphère. Cela est incontestable. Mais la lecture attentive des fragments atteste