Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
revue philosophique

d’inconnu. Le monde n’est plus un ennemi qui peut toujours nous décevoir par quelque ruse imprévue. Le monde exprime la pensée, parce qu’il est son œuvre et sa créature. Sans doute les formes à priori de la sensibilité imposent à la pensée un point de vue particulier, la divisent, ne lui permettent de s’apercevoir que dans des objets qui lui semblent d’abord étrangers. Mais, comme cette diversité même sort de son unité, en la brisant elle doit l’exprimer encore ; comme les idées sans nombre, qui sont le monde même, ont toutes leur substance en elle, elles ne peuvent l’anéantir par leurs contradictions. L’unité du monde n’est que l’unité de la pensée qui se retrouve dans son œuvre, réunit ses nombres épars et se saisit elle-même dans son harmonie réelle, sinon dans son unité absolue.

Ne pouvons-nous aller plus loin, trouver de cette vérité suprême, que tout vérifié, parce que tout la suppose, une démonstration directe ? Ne pouvons-nous montrer quelle est la condition de la pensée, telle qu’elle s’exerce ici-bas, au même titre que la loi des causes efficientes et que la loi des causes finales. D’abord, par le fait seul de la réflexion sur soi et sur la nature, la pensée manifeste avec sa liberté son existence absolue. Assister au mécanisme, le regarder en soi et dans les choses, démêler ses lois simples dans les phénomènes complexes, n’est-ce pas s’en détacher, s’en affranchir, prouver qu’on est quelque chose d’autre, quelque chose de plus. La pierre, le végétal, l’animal même agit, ne se regarde pas agir ; l’homme se met en dehors du mécanisme par cela seul qu’il le pense. En second lieu, dans tout jugement, la pensée comme sujet s’oppose à l’objet. « Nous ne pouvons exprimer l’existence que par des mots comme affirmer, poser, qui impliquent l’existence indépendante de l’esprit. »

Il n’y a pas une proposition qui ne pose à la fois l’abstrait, le réel et la pensée. Affirmer, c’est d’abord se distinguer de ce qu’on affirme, se mettre à part, en dehors et au-dessus ; puis c’est poser l’être et y marquer une limite, une détermination. En même temps qu’elle se distingue de ce qu’elle affirme, la pensée donne au jugement ce qui le caractérise : l’affirmation, l’être, la permanence et la nécessité de la liaison établie. Le jugement, quoi qu’en disent les empiriques, ne peut se ramener à la perception. Tout jugement est général, renferme quelque chose d’universel, prononce que les phénomènes ne sont pas liés accidentellement, mais qu’ils s’appartiennent l’un à l’autre, qu’ils sont liés nécessairement. Prenez le jugement le plus favorable à la thèse empirique : la couleur blanche est la couleur blanche. « Je me représente deux fois la couleur blanche dans deux moments différents par deux actes distincts de l’esprit ; donc en elles-mêmes ces deux représentations sont étrangères l’une à l’autre. Tout