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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/57

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SÉAILLES. — philosophes contemporains

ce qu’on pourrait affirmer, c’est qu’elles s’accompagnent fortuitement dans la sensibilité, sans qu’on puisse en rien préjuger l’avenir, ce qui doit être, ce qui nécessairement sera. Ce qui fait qu’il y a jugement, c’est que la pensée dès l’origine contient quelque chose d’universel, c’est qu’elle dépasse l’espace et le temps, pose le rapport établi indépendamment des cas particuliers où les phénomènes se présentent. La pensée se mêle à la perception, mais s’en distingue par la liaison nécessaire qu’elle y ajoute[1]. » Et d’où vient cette permanence, cette nécessité de l’existence, que nous affirmons spontanément, « sinon de ce que l’esprit, qui est l’auteur et le théâtre des phénomènes, est indéfectible, conserve et conservera toujours sa réalité[2]. » Ainsi dans tout acte de pensée est impliquée cette affirmation que les phénomènes ne sont pas des fantômes suscités au hasard, qu’ils sont « comme les points de concentration des lois[3], » qu’ils enveloppent l’intelligible, parce qu’ils manifestent la réalité absolue, qui est l’intelligence.

La dialectique, par son double mouvement, nous conduit de la pensée au monde et du {monde à la pensée. C’est dans la pensée que nous trouvons les éléments et les lois de l’univers, c’est d’elle que nous le composons, c’est à elle comme à son principe qu’il nous ramène. Nous ne sortons pas de nous-mêmes ; l’objet créé par nous, c’est encore nous. Penser le monde, c’est s’y recueillir ; l’objet nous ramène au sujet, parce qu’il en sort. Réfléchir, c’est surprendre le secret de la création des choses par la pensée, c’est démêler les idées qui se combinent pour produire cette apparence, c’est aller de la pensée au monde et du monde à la pensée. La dialectique est ainsi le double mouvement par lequel l’esprit se développe et se concentre. « Si mes facultés avant toute détermination étaient des cadres vides, des tables roses, je m’efforcerais de remplir ces vides, de charger ces cadres ; je cherche au contraire à me concentrer, à ramener la diversité de mes pensées à l’unité de la pensée pure[4]. » Le terme de la philosophie, c’est cette réflexion, cette conscience pure de soi-même, où la pensée se voit face à face et se saisit dans sa réalité infinie.

Toutes les vérités établies, en se résumant dans cette vérité suprême, la confirment. Si tout est pour la pensée, c’est que tout est par elle, c’est qu’elle est tout ce qui est. Malebranche disait : « Nous

  1. Psych. : Du jugement, leç. XVIII.
  2. Psych., leç. III : De l’idée de faculté.
  3. Psych. du jugement, lec. XVIII.
  4. Logique, leç. XV, De la cause pure de soi-même.