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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/563

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ANALYSES.c. vallier. De l’intention morale.

sur la terre. Chute miraculeuse, à dire vrai, et qui réclame du philosophe un acte de foi désintéressé ; mais le devoir n’est pas tombé seul ; le libre arbitre, son inséparable compagnon, l’a suivi dans sa disgrâce. Les savants nient le libre arbitre, et c’est leur métier ; leurs habitudes d’esprit font qu’ils s’accommoderaient mal de l’absurde ; or quand a-t-il été prouvé que le mystère et l’absurde n’ont pas leur place dans le monde[1] » ? Le principe de la conservation de la force a-t-il jamais été démontré ? Faisons donc comme Descartes : admettons le mystère de la liberté ; c’est un mystère « d’un ordre identique à celui de l’Incarnation, et on pourrait dire, en philosophie, que c’est le même mystère[2]. » L’acte libre ne porte-t-il pas « la marque distinctive des actes divins, la création ? » Il faut croire en notre libre arbitre.

L’homme est indépendant à l’égard des inclinations naturelles ; autrement il ne serait pas libre. Doit-il l’être en ce qui concerne l’exécution physique du devoir ? Peu importe semble-t-il au disciple de Kant ; advienne que pourra. — D’accord : mais à ne jamais pouvoir ce que l’on veut ne risque-t-on pas de se décourager de vouloir ? La liberté abdiquerait le jour où ses décisions cesseraient de pouvoir être accomplies. On est fondé à dire que la liberté ne saurait à aucun prix, et sans presque se détruire, se passer d’un symbole moral. Le libre arbitre appelle le droit. L’homme rencontre des obstacles chaque fois qu’il agit ; quand il agit par respect pour la loi morale, il faut que ces obstacles disparaissent ; ces obstacles lui viennent tantôt des choses, tantôt des hommes. Suis-je tenu de défendre ma liberté les armes à la main ? Grâce à la société, le « contrat » me dispense du combat ; l’État a prévu les effets funestes de cette concurrence morale ; il a préservé mes droits et ceux des autres, et par là même il a veillé indirectement sur la moralité de tous. En me protégeant contre tout obstacle, il m’interdit les prétextes derrière lesquels je pourrais abriter ma paresse ou mon abstention d’agir. Sans doute, les moyens par lesquels l’État seul sauvegarde la moralité ne sont pas exempts de tout reproche. Si mon voisin me laisse agir à ma guise, c’est qu’il a peur des juges et qu’il redoute la prison. L’État fait malheureusement appel aux mobiles d’abstention les moins louables pour faire respecter le droit ? L’inconvénient est grave, et la façon de procéder n’est-elle pas décidément immorale ? M. Vallier le sait bien, et s’en console en songeant au monde imparfait qui est le nôtre : ici-bas, on fait quelquefois de l’ordre avec du désordre ; pourquoi ne ferait-on pas aussi bien de la morale avec un « minimum d’immoralité » ? Ne l’oublions pas, si le devoir est tombé sur la terre, il faut subir le miracle et ses conséquences. À la société de s’en tirer comme elle peut. Ici se placent une série de remarques très personnelles, parfois aussi très paradonales ; l’auteur prend au sérieux le précepte de charité bien ordonnée. À ses yeux, le droit que nous recon-

  1. P. 59.
  2. P. 59 et 57.