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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/567

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ANALYSES.c. vallier. De l’intention morale.

être nos inclinations sympathiques, et aussi, dans une assez large mesure, nos penchants impersonnels. Presque toujours la sympathie est morale. Ce n’est pas assez dire ; on peut « trouver des degrés moraux jusque dans la sympathie elle-même ». L’utilitaire blâme les inconvénients d’une charité imprévoyante et fait bien. « La compassion mal entendue, nuisible au bonheur social, l’est d’abord à la justice ; elle encourage chacun à conserver telles quelles les limites de sa liberté physique, sans essayer de les reculer par l’application constante et le travail….. Le secours qui aide l’individu en nuisant à la société et aux habitudes qu’elle doit faire contracter à ceux qui la composent est, donc blâmable par un côté ; il est très inférieur au secours qui aurait pour résultat, en assurant et facilitant la parfaite observance des règles sociales, d’agrandir la liberté réciproque des citoyens ; et, comme notre moralité propre est elle-même intéressée au maintien et à la solidité du contrat social, notre devoir est de faire toujours plier la charité devant la justice et de prévenir les abus de celle-là par la considération de celle-ci. Une pensée charitable ne sera donc accueillie sans scrupules que si elle ne court pas risque d’affaiblir chez nos semblables le respect du contrat moral[1]. »

En tout cas, et quelque discernement qu’il faille apporter dans la culture des inclinations sympathiques, le formalisme a le droit de dire qu’une nature morale existe, créée librement par nous et qui est la nature aimante. La morale kantienne est descendue du ciel sur la terre et s’est reconnue dans les principes que l’humanité proclame. Elle exige de nous la vertu qui porte le nom même de l’humanité. « Elle permet à notre âme d’aller tout entière, suivant le mot de Platon, à la vérité et au bien : elle ne veut pas la vertu farouche et le devoir sans émotions ; elle nous laisse le droit aux larmes de la compassion, au sourire de la reconnaissance, aux regards qui enveloppent une âme de tendresse et portent un cœur à un autre cœur… Nous sommes faits pour le devoir, mais par le devoir pour l’affection… Aimer, c’est renoncer à soi-même sans le savoir ; vouloir librement, c’est renoncer à soi-même en le sachant. La moralité est la forme réfléchie de l’amour ; l’amour est la forme inconsciente de la moralité[2]. » Telle est la conclusion du chapitre ; pourquoi n’est-elle point la conclusion du livre, et que gagnons-nous à suivre M. Vallier à travers de nouveaux sentiers ? Car c’est bien dans les sentiers qu’il faut le suivre : il ne va sur les grandes routes qu’à son corps défendant. Aussi, malgré le titre qu’il donne à son quatrième chapitre : La science morale, malgré les critique annoncées des maximes de Kant, malgré ses promesses d’une théorie sur la hiérarchie des devoirs, nous nous retrouvons toujours en présence des inclinations dont il nous était si bien parlé tout à l’heure ; le point de vue sous lequel on les envisage ici, n’est pas exactement le même, je le

  1. P. 137.
  2. P. 142.