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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/595

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LE LIBRE ARBITRE

ET LA CONTINGENCE DES FUTURS[1]


Les déterministes se sont placés souvent au point de vue de Laplace qui, supposant une intelligence universelle, capable de soumettre toutes les forces de la nature à l’analyse mathématique, lui faisait résoudre ce problème déjà indiqué par Leiïbnitz et Kant : — Étant donné l’état présent du monde, en déduire par le calcul le passé et le futur. Et ce problème en renferme un autre plus intéressant encore : — Étant donnée une intelligence et son état présent, pour- rait-elle, avec une science assez grande, calculer elle-même sa conduite à venir ? — Peut-être de tels calculs sont-ils de fait impossibles au sens mathématique, si les phénomènes et les êtres constituent une multiplicité infinie en tout sens, qui ne se laisserait pas mettre en équation régulière. Mais, en supposant ce calcul mathématiquement possible, on a soutenu qu’alors même il ne pourrait tout embrasser, parce qu’il trouverait une limite infranchissable dans quelque indétermination intérieure aux choses, dans une contingence radicale, dans une ambiguïté des objets rebelle aux prises de la pensée ? C’est sur cette idée de contingence des futurs que nous voulons proposer quelques réflexions, en relevant les principaux paralogismes auxquels elle a donné lieu.

Examinons d’abord, par l’analyse psychologique, comment se forme dans notre esprit l’idée même de la contingence des futurs et, en particulier, du pouvoir des contraires qu’on nomme libre arbitre. Avons-nous vraiment conscience du possible et du contingent dans notre volonté, comme le soutiennent les philosophes qui croient les idées de libre arbitre et de contingence inexplicables par une autre cause que par la réalité même d’une puissance des contraires ? Après avoir fait la genèse de l’idée de contingence dans le sujet pensant, nous chercherons si cette idée est objectivement confirmée par le calcul des probabilités et par la statistique. Enfin, nous aurons à nous demander jusqu’à quel point l’idée de contingence,

  1. Voir les numéros de décembre 1882 et avril 1883.