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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/596

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revue philosophique

une fois conçue, peut par sa propre force s’objectiver elle-même et soumettre le déterminisme à une direction supérieure. Connaître et penser l’avenir, ce n’est peut-être pas simplement le prévoir, c’est peut-être aussi, en une certaine mesure, le déterminer par la pensée même, si bien qu’une intelligence universelle, si elle était possible, envelopperait sans doute une puissance universelle.

I

genèse de l’idée de contingence et de liberté dans l’individu et dans l’espèce

« Que l’on nous montre à priori, a-t-on dit, en quoi ce que nous appelons le possible est impossible[1]. » Mais, d’abord, on peut encore bien moins démontrer à priori que ce que nous appelons possible est réellement possible. Il ne suffit pas de dire : — Démontrez-moi à priori que ce que nous appelons la possibilité d’une chute de la lune sur la terre est impossible, — pour montrer que cette chute est possible effectivement[2].

On ne sortira pas de ce labyrinthe par des spéculations abstraites sur le possible et l’impossible. Il faut en venir à l’expérience intérieure et faire voir comment naît en nous l’idée de possibilité. Selon Zeller, autre partisan des possibles contingents, le déterminisme ne pourrait montrer comment ce qui en réalité est nécessaire doit apparaître à la conscience comme contingent et simplement possible[3]. Il nous semble au contraire qu’on peut, au sein même du déterminisme, montrer scientifiquement la formation des idées de contingence, de possibilité, de puissance, de liberté.

  1. M. Paul Janet, Traité de phil., p. 318.
  2. De plus, à priori, on peut raisonner ainsi : — Au possible il manque quelque condition pour être réel, sans quoi il serait déjà réel ; donc le possible, sans cette condition, est impossible. Et cette condition elle-même, elle a dû avoir à son tour sa condition de réalité, car sans cela elle eût été aussi immédiatement réelle, non simplement possible ; elle était donc vraiment impossible sans cette condition, et ainsi de suite. On peut ainsi soutenir à priori que ce que nous appelons possible, comme tel, est identique à l’impossible, et qu’il n’y a de vérité que dans la réalité et dans le changement soumis à des lois.
  3. Voir l’étude de M. Boutroux sur Zeller, Revue phil., 1877, II, 12. — Cf. M. Brochard, de l’Erreur, p. 198. Selon ce dernier, en prenant le parti du déterminisme ; « l’on se met dans l’impossibilité d’expliquer le libre arbitre qui existe au moins à titre d’apparence… On se trouve, vis-à-vis de la croyance au libre arbitre, dans une situation analogue à celle de Parménide lorsque, ayant affirmé l’être immobile et un, il se voyait dans l’impossibilité de rendre compte du changement et de la pluralité dans le monde sensible. »