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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/607

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FOUILLÉE. — le libre arbitre

rience autant que faire se peut[1]. » « Les possibles que l’ignorance fait égaux devant l’attente sont vérifiés égaux par le fait[2]. » Examinons s’il est vrai que les lois des chances et des grands nombres ne soient pas compatibles avec le déterminisme, et qu’elles soient au contraire favorables à la liberté ou à la contingence.

Ce qui a ici donné lieu aux paradoxes et aux paralogismes, c’est la manière ambiguë et même inexacte dont Laplace a posé le principe du calcul des probabilités. Ce principe n’est point facile à bien établir, comme le prouvent les exemples de Laplace même, de Stuart Mill et de Cournot. « La théorie des hasards, dit Laplace, consiste à réduire tous les événements du même genre à un certain nombre de cas également possibles, c’est-à-dire tels que nous soyons également indécis sur leur existence, et à déterminer le nombre de cas favorables à l’événement dont on cherche la probabilité. » Cette définition ambiguë, qui semble identifier légale possibilité objective de deux choses avec notre égale incertitude devant les deux choses, est une confusion au moins dans les mots. Supposons que je sois en présence de deux urnes contenant des boules noires et blanches et que j’ignore également, moi, la proportion des boules noires contenues dans la première urne et la proportion des boules noires contenues dans la seconde, il n’en résultera pas que les chances de sortie pour les noires soient objectivement égales dans les deux urnes en vertu de mon égale ignorance ; car la première urne peut se trouver contenir 1 noire seulement sur 100 et l’autre 99 noires sur 100. Il faut donc que notre égale indécision ne soit pas seulement fondée sur l’ignorance subjective, mais sur des raisons objectives d’égalité, soit à posteriori, soit à priori : Sans cela, on tombe sous les objections d’Auguste Comte et sous la définition humoristique du calcul des chances : un calcul qui consiste à regarder l’impossible comme probable et le nécessaire comme incertain. Aux yeux du déterminisme, tout est certain pour qui connaîtrait toutes les causes ; quand donc Laplace dit que « les possibilités respectives des événements tendent à se développer », entendons simplement que les rapports respectifs certains des événements tendent à se développer, ou plutôt sont forcés de se développer et de se manifester à la longue, pour la raison bien simple que ces rapports sont constants et durables parmi d’autres inconstants. Si de plus c’est un rapport d’égalité et d’équilibre, il se manifestera un équilibre, que nous l’ayons attendu ou non.

  1. Ch. Renouvier, Psych., II, 105, 94 et 95 ; Logique, II. 384 386.
  2. id., Logique, 386.